A l’occasion du quinzième anniversaire de la collection Lunes d’encre, les éditions Denoël ont organisé une opération 15 ans, 15 blogs. Le but est pour chacun des participants de chroniquer un ouvrage d’un auteur de la collection qui n’était pas encore présent à l’index de leur blogs. Ce principe m’interdisait donc de choisir un ouvrage de Jean-Philippe Depotte ou Laurent Genefort par exemple. Et après avoir hésité un peu en pensant à Stalker des frères Strougatski et à La séparation de Christopher Priest, mon choix s’est finalement porté sur Anamnèse de Lady Star, de L. L. Kloetzer.
Dans un futur indéterminé, un attentat a déclenché une nouvelle forme d’épidémie et tué une partie de l’humanité. Nommé le Satori, cet événement a refaçonné le monde, créant véritablement un avant et un après. Deux périodes que le récit explore et dont les protagonistes sont marqués par leur rencontre avec une femme bien particulière. Anamnèse de Lady Star est la somme de ces témoignages et de la recherche par une historienne d’un sens à la vie de ce personnage.
Si pour certains livres il est aisé d’en faire la chronique dès la dernière page lue, voire de l’avoir bien entamée avant même d’avoir fini l’ouvrage, le dernier roman des Kloetzer (L. L. sont leurs deux initiales) fait au contraire partie de ceux qui demandent à reposer un peu avant qu’on puisse en parler avec un minimum d’aisance. Anamnèse est un récit étrange. Les événements ne s’enchaînent pas chronologiquement, certaines histoires en contiennent d’autres à la façon des matriochkas, et chaque témoignage a son ton particulier. De fait, l’écriture, très belle au demeurant, est assez variée et permet de bien séparer les différents intervenants.
Si l’époque précise du récit est plus ou moins indéterminée (je la place au plus tôt au XXIIe siècle), l’univers est très bien construit. Les Kloetzer ont dispersé les éléments à travers tout le récit, utilisant principalement les protagonistes eux-mêmes pour faire découvrir l’univers au lecteur. Chaque détail apporte sa petite touche à la peinture d’un avenir totalement chamboulé et où le Satori a redéfini en partie l’emprise que l’humanité a sur le monde. Mais certains points restent aussi légèrement dans le flou, comme l’état de l’exploration spatiale et surtout la nature même du personnage central du récit. Certains la disent venue d’ailleurs, mais j’avoue douter en permanence de sa nature extra-terrestre, tant l’explication d’une mutation ou autre phénomène pourrait tout aussi bien coller.
Anamnèse est un roman riche qui explore de nombreuses thématiques et l’une d’entre elles en particulier a retenu mon attention : l’histoire. L’ensemble du récit tourne autour de la recherche depuis un point futur d’éléments passés permettant de comprendre l’histoire. Et les Kloetzer illustrent bien toute la difficulté pour l’historien de suivre les preuves, d’en estimer la véracité et surtout de ne pas suivre le fil qui contente le mieux toute idée préconçue qu’il/elle pourrait avoir. Et Anamnèse en est une très belle illustration. Certains témoignages semblent contradictoires, les éléments factuels sont parfois lacunaires et l’absence de preuve en dit tout aussi long que leur présence. Par moment, j’ai eu quelques réminiscences du très bon Les menhirs de glace de Kim Stanley Robinson. L’ouvrage montrent aussi un peu à quoi pourra ressembler le travail d’historien dans les temps futurs, lorsque le chercheur devra pratiquer l’archéologie numérique, à la recherche des traces laissées sur les réseaux par l’objet de sa quête de savoir.
La lecture de Anamnèse de Lady Star n’a pas été facile ni rapide, ce serait mentir que de dire le contraire. Mais c’est un livre très riche et qui marque son lecteur. L’écriture est de celles qui sont belles mais demandent du temps pour en profiter. Je sais d’ors et déjà que ce livre me laissera une impression durable, au contraire de certains ouvrages qui se lisent rapidement mais s’oublient tout aussi facilement. La difficulté que j’ai eu à écrire cette chronique illustre un peu mon sentiment sur cet ouvrage, à l’image du rapport entre les témoins et le personnage central de Anamnèse de Lady Star : difficile à cerner, parfois flou et impalpable, cet obscur objet du désir exerce sur autrui une fascination que la raison n’arrive pas à expliquer. Une expérience rare et d’autant plus appréciable.
Anamnèse de Lady Star
de L. L. Kloetzer
illustration de Stéphane Perger
collection Lunes d’encre / Folio SF
éditions Denoël / Folio
455 pages (format moyen) / 538 pages (poche)