Dans le parcours de chaque lecteur, il y a des livres qui laissent des empreintes durables, des ouvrages dont on se souvient encore longtemps après les avoir lu, qui offrent des souvenirs particulièrement forts. Des livres qui permettent de définir un avant et un après. L’affaire Jane Eyre, du britannique Jasper Fforde, fut pour moi l’un de ces livres.
Le roman est raconté à la première personne par Thursday Next, membre des forces de police anglaise qui travaille dans une section particulière dont la mission se centre sur la littérature. Vous soupçonnez quelqu’un d’essayer de vous vendre de fausses éditions originales ? Elle est la femme qu’il vous faut. Un roman inédit à faire expertiser ? C’est son rayon. Un problème entre partisans de Roger Bacon et fans de William Shakespeare ? Passez-lui un coup de fil. Aussi, lorsque Achéron Hadès, grand génie du crime, vole le manuscrit original de l’un des fleurons de la littérature d’outre-Manche, Thursday doit évidemment se plier en quatre pour le retrouver.
L’affaire Jane Eyre pourrait être un roman policier ordinaire avec la petite spécificité d’une enquête culturelle, comme on en trouve chez certains auteurs, tel Arturo Pérez-Reverte ou bien Iain Pears. A ceci près que Thursday ne vit pas tout à fait dans notre monde. Miss Next vit bien dans l’Angleterre du début des années 1980, mais une Angleterre encore en guerre avec la Russie en Crimée. Une Angleterre voisine de la République Populaire de Galles, Une Angleterre où la police dispose de sections spéciales pour gérer les affaires surnaturelles, le voyage dans le temps et bien d’autres bizarreries propres à gêner le citoyen ordinaire. Et c’est là que Jasper Fforde laisse son imagination s’exprimer pleinement. Le monde qu’il décrit fourmille de petits détails savoureux qui le rendent vraiment singulier et vivant. Et les personnages qui le peuplent sont du même tonneau et laissent un souvenir durable au lecteur.
Pour autant, Fforde ne néglige pas l’aspect littéraire et offre quantité de références et de clins d’œil à toute les littératures, que ce soit celle que l’on glorifie dans les hauts cercles ou bien la petite littérature populaire de genre. On sent vraiment un amour de l’auteur pour la lecture sous toutes ses formes.
L’un des autres points forts de l’ouvrage est d’avoir su lier une partie de l’intrigue à celle du chef d’œuvre de Charlotte Brontë, sans que cela ne rende nécessaire la lecture du roman au préalable. En fait, à ma première lecture de L’affaire Jane Eyre, je ne m’étais pas encore penché sur le classique de la littérature anglaise et je n’en ai pas ressenti de manque particulier. Mais cela m’a donner envie de m’y intéresser. Ainsi, ma deuxième lecture s’est faite après avoir pris connaissance du texte de Brontë et j’ai alors eu la joie de découvrir quelques petits plaisirs supplémentaires à la relecture de Fforde.
L’affaire Jane Eyre n’est pas le premier livre à produire un univers un peu dingue rempli de détails savoureux, ni le seul à parler de la littérature et de la lecture sous toutes leurs coutures. Mais la juxtaposition des deux est parfaitement réussie, créant ainsi un ouvrage sans pareil. Je n’ai que très rarement l’occasion de relire un livre, tant il en a que je n’ai pas encore eu le plaisir de parcourir. Mais L’affaire Jane Eyre est l’un des heureux élus que j’ai déjà relu et dont je sais que je le relirai encore par la suite avec probablement toujours le même plaisir.
L’affaire Jane Eyre (The Eyre Affair)
de Jasper Fforde
traduit par Roxane Azimi
illustration de Vikort Koen/Mari Roberts
éditions Fleuve Noir ou 10/18
389 pages (grand format) 410 (poche)
Une section particulière dont la mission se centre sur la littérature, de l’uchronie, ce roman a l’air passionnant… Merci pour l’article !
Ce livre je l’ai acheté sur un coup de tête, et jamais encore lu depuis, peut être par peur du manque de références. Mais à la lecture de ta critique, ça me donne vraiment envie de le lire prochainement 🙂
Merci donc 🙂
La quantité de référence qu’utilise Fforde est assez importante, mais généralement ce n’est pas très génant pour la compréhension de l’histoire. Il y a celles que l’on ne voit pas si on ne les connait pas (et donc on ne manque rien) et il y a celles où l’on se doute de quelque chose. Parfois, ça m’agace de ne pas comprendre à quoi un auteur peut faire référence, mais dans le cas de Fforde ça a au contraire réussi à me donner envie de lire d’autres livres (dont Jane Eyre).