On tombe parfois sur des ouvrages un peu curieux, que ce soit dans le thème abordé, le ton ou bien l’emballage. Ainsi Le voyageur de James Smythe se promène sous une couverture qui peut évoquer un film à propos de gens perdus dans l’espace. Voyons un peu s’il s’agit vraiment d’un bouquin parlant de naufragé de l’espace.
Cormac Easton est journaliste et sa carrière est à son sommet puisqu’il fait partie de l’équipage envoyé dans l’espace, première incursion de l’humanité hors de son berceau depuis des décennies. Sauf que les choses ont mal tourné, Easton est le dernier survivant et il ne peut faire faire demi-tour à un vaisseau qui s’enfonce inexorablement dans les abîmes glacés qui séparent les étoiles.
Dès le début, on se fait assez peu d’illusions sur l’avenir du personnage principal. A la différence du narrateur de Seul sur Mars d’Andy Weir, Cormac Easton n’a pas de profil technique. Il est journaliste, son métier c’est de raconter des histoires, pas de reprogrammer un vaisseau expérimental. Alors plutôt que se tourner vers l’avenir, on regarde vers le passé. Et le narrateur revient donc sur la mission à laquelle il participe, la façon dont ses co-équipiers ont succombé, et de façon plus générale sur sa vie. On plonge alors dans les souvenirs et au bout d’un moment on finit par ne plus savoir si l’on assiste aux dernières visions d’un narrateur mourant ou si ce dernier a remonté le temps.
Ce voyage dans la mémoire, ou le passé, est l’occasion de voir tant pour le narrateur que le lecteur que les choses n’étaient peut-être pas tout à fait ce qu’elles semblaient au premier abord. Et que l’équipage soudé et solidaire que l’on esquissait au début du récit comptait certainement bien plus de faille qu’on ne le pensait. Et l’on épluche tous les mensonges d’Easton sur ses collègues, mais aussi sur lui-même et son passé. On est en pleine démonstration du principe du narrateur non fiable couplé à une mise en évidence du caractère faillible de la mémoire.
Le roman n’est pas très long et l’écriture de Smythe permet de le lire rapidement. Curieusement, les quelques détails techniques proposés m’ont l’air à peu près tous faux, sans que je sache si cela est volontaire ou pas. Mais cela n’entrave pas vraiment la lecture, Le voyageur n’est pas un roman de hard science et le propos concerne plutôt la mémoire et ses failles. Le modèle que présente l’auteur est par contre assez intéressant sur la façon dont est organisée cette nouvelle conquête spatiale : sponsorisée par les entreprises. Autrement dit, le vaisseau et son équipage sont alimentés, désaltérés, maintenus en forme par les sponsors. Le genre d’idée qui peut faire se hérisser les poils de tous les aspirant astronautes.
J’ai passé un bon moment de lecture avec ce roman. La survie ou non du protagoniste principal devient rapidement accessoire et le regard sur son passé, ses mensonges et ceux de son équipage offrent un terrain tout aussi intéressant. Le livre tient tout seul, même si j’ai découvert nettement plus tard que l’auteur aurait écrit un roman y faisant suite. Son approche devrait forcément être différente, ce qui titille un peu ma curiosité. Mais ne pas s’y intéresser ne devrait rien ôter à Le voyageur qui est un roman qui se lit très bien tout seul.
Le voyageur (The Explorer)
de James Smythe
traduit par Claude Mamier
illustration de Angel Rinaldi
collection L’autre Bragelonne
éditions Bragelonne
349 pages (format moyen)
disponible en numérique chez 7switch