Quand j’apprécie un auteur, j’ai tendance à en faire le tour et à lire le plus possible de ses écrits. Mais quand il ne me reste plus grand-chose en stock concernant un auteur qui n’est pas très prolifique, je tends à ralentir la cadence et à attendre avant de me lancer dans l’une de ses dernières œuvres encore inédites pour moi. Ainsi, je garde La sonate hydrogène, dernier volume de la Culture de Iain M. Banks, dans un coin sans jamais arriver à me décider à le lire. L’auteur étant décédé je sais qu’une fois l’ouvrage lu, je n’aurais plus rien d’inédit dans cette série. C’est un peu ce genre de sentiment que je connais vis-à-vis des écrits de David Brin. L’auteur est heureusement toujours de ce monde mais comme il ne me restait que deux ouvrages en français à lire, j’attendais. J’ai fini par franchir le pas pour l’un d’eux, intitulé Terre.
Nous sommes en 2038, l’humanité doit faire face aux conséquences de deux siècles de civilisation industrielle et certains doutent qu’elle pourra survivre aux désastres qui se profilent à l’horizon. Alex Lustig a créé un mini trou noir pour essayer d’en faire une nouvelle source d’énergie propre. Mais ses commanditaires ont violé des accords internationaux et les émeutes qui s’en sont suivi ont provoqué la fuite du trou noir qui s’est enfoncé vers le centre de la Terre. Lustig veut maintenant s’assurer que sa création va bien se dissiper et non se nourrir des entrailles de la planète.
Avec un tel point de départ, on pourrait s’attendre à un récit catastrophe, un peu à l’égal d’un Poussière de Lune de Stephen Baxter. Mais il n’en est rien. Brin part dans une direction différente et nous trace le portrait d’un monde à la recherche d’un chemin vers l’avenir. Et ce ne sont pas les choix qui manquent. On voit une société qui a (enfin) pris pleinement conscience du risque que fait peser sur elle la dégradation de son environnement. Mais tout le monde n’est pas d’accord sur les solutions à adopter. Les factions sont nombreuses et acceptent plus ou moins bien les choix fait par une majorité. Brin peut donc nous proposer plusieurs options et ainsi faire étalage de son imagination (certaines pistes sont très intéressantes) mais il parvient aussi à donner une représentation réaliste des choses sur certains plans. On évite ainsi l’idée d’une humanité unie sans problème autour d’une solution unique qui résoudrait enfin tous ses problèmes, ce qui serait en fait assez peu réaliste. Bref, l’auteur parvient à donner une note réaliste à son propos.
Terre est un ouvrage qui ne s’intéresse pas qu’à la question du futur de notre environnement. On croise aussi d’autres thématiques, ce qui est plutôt bienvenu vu le volume de texte. Brin va donc aussi parler de notre planète en elle-même et de ce que recèle ses entrailles, de conspirations, du paradoxe de Fermi ou encore de l’équilibre de la terreur nucléaire. Et il y a un thème sur lequel le roman se montre assez pertinent, à mon avis : la société de l’information. Le futur décrit par Brin est « évidemment » un futur dans lequel l’information et la communication ont envahi le monde et où l’on n’échappe que difficilement au réseau des réseaux. Et pour un livre écrit à une époque où le net était encore balbutiant (la postface est datée de l’été 1989), je trouve que Brin a assez bien anticipé certaines évolutions. Le spam et son filtrage, les forums de discussion, la possibilité de stocker tout et n’importe quoi en vidéo (ou autre) sur le réseau, la culture de l’immédiateté dans la discussion (qui provoque des flambées de violence verbale), etc. Avec Terre, Brin m’a donné l’impression d’avoir tapé juste dans plusieurs domaines. En contrepartie, l’ouvrage a aussi ce côté un peu suranné du futur vu depuis le passé : l’Union Soviétique existe toujours, on continue d’utiliser des navettes spatiales, etc.
L’ouvrage se lit assez rapidement et Brin propose des petites vignettes à chaque changement de point de vue. Le mécanisme est classique mais assez utile car il permet d’enrichir sensiblement l’univers créé par l’auteur et apporte même parfois des éléments de réflexions intéressants. On y retrouve aussi quelques petites marottes de l’auteur, comme l’utilisation de dirigeables et l’idée de l’Élévation n’est jamais très loin. Brin conclu l’ouvrage avec une postface assez riche, dans laquelle il s’excuse un peu pour certaines idées un peu délirantes et probablement pas très crédibles qu’ils utilisent. Mais il pointe aussi les éléments réalistes sur lesquels il s’appuie et propose quelques pistes de réflexions supplémentaires. Le tout se termine avec une petite nouvelle bonus.
En m’attaquant à Terre j’avais cette sensation que j’ai parfois en commençant un ouvrage assez ancien dans l’œuvre d’un auteur que j’apprécie beaucoup : la peur de lire une vieillerie sans intérêt. J’y ai finalement retrouvé l’auteur d’Existence (livre dont j’espère vous reparler prochainement) bouillonnant d’idées qu’il met au service d’une intrigue qui a su me tenir en haleine. Bref, ce fut un vrai plaisir de retrouver l’auteur. Enfin, l’ouvrage était difficilement trouvable depuis de nombreuses années mais c’est chose réparée depuis le début de l’année avec une réédition en poche et en numérique chez Milady. Merci à eux.
Terre (Earth)
de David Brin
traduit par Michel Demuth
éditions Milady
918 pages (poche)
disponible en numérique chez 7switch
J’en suis également à plusieurs ouvrages de Brin. Terre ne fait pas l’unanimité visiblement. Je crois que je vais rester sur Saison de gloire pour ma prochaine lecture de David B.
Je comprends parfaitement ton point de vue concernant un auteur. J’adore Poul Anderson, Sanderson et Peter Watts et tente de lire tout ce qui est sorti en France ( il me manque un seul bouquin de Watts, mais un nouveau doit sortie cette année, et à part les romans jeunesse je suis à jour pour Sanderon!)