Le temps passe et les volumes des Laundry Files se succèdent. Ces dernières années, Charles Stross semble avoir un peu accéléré la cadence et après un Rhesus Chart publié en 2014, l’année dernière a vu la sortie de The Annihilation Score. Ce sixième volume s’annonce comme marquant quelques changements dans la série. Voyons un peu ce qu’il en est.
L’approche de CASE NIGHTMARE GREEN a entre autres pour effet de doter un nombre croissant de gens de pouvoirs et capacités de toutes sortes. Et lorsque les choses deviennent impossibles à cacher aux médias, le gouvernement doit prendre des mesures et autorise la création d’une nouvelle entité chargée de régler le problème. C’est à la tête de cette nouvelle structure que l’on parachute le docteur Dominique O’Brien, alias Mo, la femme de Bob Howard.
Le premier changement de ce nouvel épisode est un changement de narrateur. On quitte Bob pour tenir compagnie à sa femme Mo. Et ça se passe plutôt bien. Mo n’a pas le même esprit que son mari et ça se sent. Personnellement, j’apprécie bien son ton. Elle permet aussi d’avoir le regard d’une femme sur l’univers dans lequel elle évolue et l’on constate que cela va parfois en lui causant divers petits problèmes. Problèmes que Bob ne perçoit pas forcément, ce qui fait que l’on voit certaines choses de façon vraiment différente. Les collègues qui lui sont imposés pour diriger son équipe n’arrangent pas forcément les choses. A se demander si quelqu’un ne le fait pas exprès. Ses difficultés en tant que femme sont doublées par le fait qu’elle ne fait pas partie de la police alors qu’elle va devoir travailler régulièrement avec différentes structures des forces de l’ordre. Le syndrome « nous on sait comment les choses doivent être faites » traîne dans les parages. Le fait que la patronne des forces de l’ordre ressemble étrangement à une ancienne ministre de l’intérieur devenue depuis locataire du 10 Downing Street rend la chose un peu plus savoureuse.
Ce que j’aime bien avec cette série, c’est que Stross ne reste pas enfermé dans un schéma unique et un univers statique. On nous annonce depuis plusieurs volumes que les choses risquent prochainement de partir de travers et il faut bien avouer qu’on commence à y arriver. L’approche qu’il propose pour « l’acceptation » par le public de ces phénomènes est intéressante : les super-héros. Il est effectivement peut-être plus facile, en tout cas plus tentant, pour un gouvernement de vendre l’idée d’une équipe de super-héros plutôt que celle d’une agence d’occultistes et de mages. Cette idée a évidemment des conséquences qui n’enchantent pas forcément Mo : nom de code, recherche d’un uniforme, etc. Le tout en essayant d’éviter d’être trop ridicule.
L’un des autres aspects que j’aime bien dans cette série, c’est le côté tragique. Bob ne se fait guère d’illusion sur la façon dont les choses risquent de finir et Mo partage assez bien son point de vue sur la question. Chez elle non plus on ne sent pas trop l’espoir de lendemains qui chantent. L’un comme l’autre aimerait bien rêver d’un avenir radieux, mais tous deux savent justement le danger que peut représenter les rêves : un territoire sur lequel les choses innommables peuvent étendre leur emprise. Et Mo en fait justement l’expérience dans cet épisode. Avec elle, on voit aussi l’autre versant de ce couple que l’on sent partir à la dérive et où chaque sursaut pourrait être signe de rémission… ou le chant du cygne.
Avec The Annihilation Score, Charles Stross réussit son changement de point de vue. Le ton de Mo est différent et la comparaison avec Bob est intéressante. Mais il est au moins un point sur lequel elle rejoint son mari : Mo finira l’aventure tout aussi malmenée par les événements. Car il est bien une constante dans cette série : que les choses finissent bien ou pas, le protagoniste a toujours un prix à payer. Et les évolutions présentes et futures de la série laissent clairement supposer que ce prix ne pourra aller qu’en augmentant. Nightmare Stacks, le prochain épisode, devrait introduire un nouveau point de vue. J’attends ça avec intérêt.
The Annihilation Score
de Charles Stross
éditions Orbit/Ace
410 pages environ (grand format)