Après sept pavés, je tiens bon sur le Livre malazéen des Glorieux défunts de Steven Erikson. Plus que trois romans pour finir la série. Trois très gros romans, j’ai encore du chemin à faire avant d’en arriver au bout. Attaquons la nouvelle étape, intitulé Toll the Hounds (la rançon des molosses en VF).
Ce huitième volume est l’occasion de revenir sur des personnages et des lieux délaissés depuis un moment. Toll the Hounds nous parle donc des Bridgeburners qui ont survécu aux évènements de Memories of Ice et qui ont décidé de prendre une retraite bien méritée à Darujhistan. En parallèle, on retrouve les Tiste Andii et leur chef, Anomander Rake, qui s’installent comme ils peuvent à Black Coral après la perte de Moon’s Spawn. Mais il est écrit que tous ne vivront pas en paix.
Toll the Hounds pourrait ressembler à l’épilogue des aventures de certains personnages laissés de côté depuis le troisième volume. Un livre sans grand importance qui est juste là pour contenter les fans qui veulent savoir ce qu’il advient de certains de leurs chouchous. Évidemment, ce n’est pas le cas. Toll the Hounds a son importance dans le cycle et certains évènements qu’il présente sont tout sauf anecdotiques. Une fois le livre fini, on comprend bien que tout ça reste lié et que l’épisode suivant, Dust of Dreams, sera la suite de ce volume tout autant que de Reaper’s Gale.
Erikson a su varier les ambiances au fil des romans de la série. On a gouté à la guerre de siège, au drame politique, etc. Une fois encore, on découvre un livre un peu différent des précédents. Dès le prologue, très soigné comme d’habitude, on perçoit que le récit s’annonce tragique. Et comme le laisse supposer ce prologue, on notera en divers endroits que l’histoire est racontée par Kruppe, en particulier dans les débuts et fins de chapitre. Un Kruppe à la peine perceptible. On ne sera donc pas surpris que certains protagonistes ne voient pas la fin du roman, mais ces disparitions sont quand même parfois douloureuses. Erikson a déjà prouvé qu’il savait faire mal, même quand on s’y attend.
Les personnages sont toujours l’une des forces du livre. Les Bridgeburners, même démobilisés, restent des Bridgeburners, turbulents, flamboyants, captivants. Certains protagonistes continuent d’évoluer et parfois s’en inquiètent, comme par exemple Gruntle. Crokus revient dans sa ville natale après avoir accompli bien plus qu’il ne rêvait, Traveller est de retour et n’a visiblement pas fait bon voyage, et Anomander Rake semble broyer du noir. Beaucoup gardent encore quelques espoirs même si la plupart n’y croit pas vraiment. Et souvent ce que l’on obtient ne se révèle pas aussi plaisant qu’on le croyait. Désillusion et désenchantement parsèment l’ouvrage. La déprime est particulièrement sensible du côté des tiste andii qui plus que jamais affichent leur côté Elder Race dépressif. Kruppe offre aussi un visage un peu différent et sous sa bonhommie coutumière on sent percer une facette plus sombre du personnage.
On retrouve évidemment la complexité de l’univers malazéen, avec des frontières entre « camps » qui sont toujours aussi floues, chacun ayant ses motivations et ses objectifs. Comme souvent, on perçoit que les coulisses sont plus agitées que la scène et tous sont partie prenant d’un jeu dont la plupart n’ont pas conscience.
Avec Toll the Hounds Steven Erikson livre un épisode plus calme de son cycle malazéen, surtout comparé aux deux précédents. L’action est toujours là mais plus en retrait devant le drame qui se joue à travers l’ouvrage, comme une sorte de pièce de théâtre où l’on sait dès le début que cela va mal finir. Un épisode qui marque peut-être la perte de certaines illusions pour les protagonistes. Et que les personnages disparaissent au travers des évènements ou y survivent, c’est toujours émouvant. L’action est plutôt limitée au départ, mais Erikson offre quand même quelques petites séquences agitées en cours de route et le final de l’ouvrage prend des allures de feu d’artifice. Les différents fils de l’intrigue convergent évidemment et une fois la dernière page tournée, on sent que la fin de la série sera mouvementée. Si le ton de l’ouvrage est assez dramatique dans l’ensemble, on profite de quelques moments d’humour, en particulier avec les derniers des Bridgeburners dont la nature semble profondément rétive à la monotonie et la quiétude.
Il semble que certains lecteurs de la série ont nettement moins apprécié ce volume, lui reprochant un manque d’action et de se focaliser sur certains personnages en plein doute. Toll the Hounds est effectivement moins dense en action, en tout cas en action guerrière. Le roman étant peut-être le plus long de toute la série, ceci a pu décevoir certains lecteurs. Pourtant, l’ouvrage est riche en événements et certains d’entre eux auront certainement des conséquences importantes pour la suite de la série. Cette décalogie est une sorte de grande tragédie et ce n’est peut-être nulle part aussi évident que dans ce volume. On sent bien dès le départ que ça ne va pas bien se passer. On voit les personnages se démener contre un destin qu’ils refusent ou au contraire se laisser emporter. On en voit douter, s’interroger, chercher un sens à leur existence. Et la force habituelle d’Erikson est d’arriver à rendre cela passionnant et d’arriver une nouvelle fois à faire mal lorsque la conclusion dramatique de certains parcours arrive. J’ai souvent comparé l’ensemble de la série à l’Iliade d’Homère, mais dans Toll the Hounds Erikson n’a jamais été aussi proche de Shakespeare.
Toll the Hounds est le huitième volume de la série et c’est un peu le volume des personnages abimés, cassés. La plupart des protagonistes ont déjà bien bourlingué et survécu à quantité d’événements qui ont pris certains de leurs proches. C’est le volume de la lassitude, du doute, de la fin de certaines illusions. Certains ont encore un but, parfois une vengeance à accomplir. Et comme dans les précédents volumes, tous n’auront pas entière satisfaction et cette satisfaction aura parfois un goût bien amer. Si on avait un peu oublié au fil des volumes précédents que cette grande tragédie ne touche pas que des dieux et des êtres plus grands que nature, Toll the Hounds nous rappelle bien que les « petits » personnages sont là aussi et qu’ils ne sont pas les derniers à payer le prix des événements. Sans pour autant perdre de vue le cadre général du grand récit.
Sous des allures d’épilogue partiel pour personnages un peu oubliés, Toll the Hounds est en fait la dernière étape avant le diptyque final de la décalogie. Comme les volumes précédents, il s’agit bien d’un roman complet et Erikson en profite aussi pour installer quelques derniers éléments avant la convergence finale. Un volume qui m’a fait l’impression d’être un peu plus léger en action et plus fourni en drame. Et surtout un volume particulièrement émouvant. Il ne reste plus que deux volumes pour en finir avec cette série, deux opus présentés par l’auteur comme un seul roman coupé en deux tomes.
La rançon des molosses (Toll the Hounds)
de Steven Erikson
traduit par Nicolas Merrien
illustration de Steve Stone/Marc Simonetti/Todd Lockwood
éditions Léha (Bantam/Tor)
environ 820 pages (grand format) environ 1280 pages (poche)
disponible en numérique chez 7switch
Une réflexion sur « La rançon des molosses, de Steven Erikson »