Après Engineering Infinity et Edge of Infinity, je continue la série des anthologies Infinity dirigées par Jonathan Strahan. La troisième s’intitule Reach for Infinity et revient encore un peu en arrière par rapport aux précédentes. Cette fois, l’humanité n’en est encore qu’au début de la colonisation du système solaire.
Cette antho s’ouvre par un texte de Greg Egan. Break my Fall parle du voyage entre l’orbite terrestre et l’orbite martienne. Le passage de l’une à l’autre étant assez couteux en énergie, l’auteur propose une solution intéressante pour réaliser l’opération à moindre frais, pour ainsi permettre un flux d’échanges plus important entre les deux planètes. Si l’aspect technique du texte est intéressant, j’ai trouvé le côté narratif, basé sur une affaire de sauvetage spatial, assez quelconque. C’est donc une semi-déception pour moi.
On poursuit avec The Dust Queen, une nouvelle d’Aliette de Bodard, une française qui a la particularité d’écrire et publier en anglais. Ce texte se situe dans son univers Xuya, un cadre de space opera dominé par une culture d’origine vietnamienne et chinoise. L’idée de fond de ce texte est que l’on peut éliminer des souvenirs ou au contraire les reconstituer. C’est à cette dernière opération que l’on va assister. Si de Bodard ne développe pas trop le côté technique elle porte par contre un soin appréciable au traitement de ses personnages. Et c’est ça qui fait l’intérêt du texte.
J’ai déjà parlé de Ian McDonald en particulier avec le premier volume de sa série Luna. L’auteur retourne dans le même univers avec The Fifth Dragon, qui revient sur le passé d’un des personnages de la série. Et je trouve que ça passe beaucoup mieux au format court. C’est à se demander si l’auteur n’est pas tout simplement meilleur sur ce format que sur les romans.
On retrouve ensuite un autre auteur déjà présent dans une des antho précédentes : Karl Schroeder. Et ce dernier utilise le même personnage que précédemment, dans un texte nommé Kheldyu. On part cette fois au fin fond de la Sibérie, avec un projet destiné à lutter contre le réchauffement climatique. Cependant, comme dans le texte précédent, les choses vont s’avérer un peu plus compliquées qu’on ne le pense au début. L’idée que va utiliser Schroeder est intéressante mais le texte dans son ensemble m’a semblé moins enthousiasmant que son précédent. J’ai néanmoins apprécié de voir de quelle façon il est possible de laisser une chose grave arriver par simple inaction.
Pat Cadigan était déjà au sommaire de l’antho précédente, avec un texte intéressant quoique au titre un peu étrange. Le titre de cette nouvelle est dans la lignée du précédent : Report Concerning the Presence of Seahorses on Mars. On est là dans la perspective de la colonisation martienne et des problèmes de relation avec la Terre. Les délais de communications entre les deux corps célestes rendent les échanges un peu particulier, ce dont s’amuse l’auteur. Et on voit que les colons s’accommodent à leur façon des instructions et règlements définis par des terriens installés dans un bureau bien loin du terrain. Un texte assez satisfaisant.
Le texte suivant est de Karen Lord et s’intitule Hiraeth : a Tragedy in Four Acts. Il est ici question de cybernétique et de la façon dont un individu bascule graduellement d’un corps complètement organique vers une enveloppe de plus en plus mécanique. Le texte est intéressant et parvient aussi à être très touchant.
On passe ensuite à une nouvelle assez courte : Amicae Aeternum, d’Ellen Klages. On y suit une jeune ado qui fait ses adieux à la Terre avant de devoir embarquer sur un vaisseau générationnel avec ses parents. Ce n’est pas particulièrement original mais ça se lit sympathiquement.
Le texte suivant à une forme un peu particulière. Adam Roberts nous propose Trademark Bugs : A Legal History, un texte en forme de rapport de recherche. Dans le futur que nous décrit Roberts, les grandes compagnies pharmaceutiques ont gagné le droit de breveter leurs propres versions de maladies « bénignes » comme le rhume et de produire les remèdes correspondants. De fil en aiguille, on voit comment le système dérive vers un contrôle grandissant des compagnies sur la santé de tous, quelles actions tentent les opposants et comment évoluent les mentalités et la législation. J’ai trouvé ce texte vraiment intéressant et dans la droite lignée de certaines dérives actuelles autour de la propriété intellectuelle.
Il est ensuite question de sport dans l’espace avec Attitude de Linda Nagata. Mais on retrouve aussi un élément commun au texte précédent : l’argent. L’idée proposée par l’autrice consiste en une station orbitale qui finance son développement par les droits de diffusion d’un sport en apesanteur. Si je suis toujours assez peu réceptif aux idées de sports proposés dans les textes d’imaginaires, en particulier de tout ce qui serait susceptible de se faire en environnement zéro-g, j’ai par contre trouvé l’idée centrale du texte intéressant et le traitement qu’en fait Nagata, par rapport au trucage possible des matchs, me semble assez satisfaisant.
On retrouve ensuite un autre auteur déjà présent dans les deux précédents volumes : Hannu Rajaniemi. Dans Invisible Planets, l’auteur nous parle d’un vaisseau qui s’apprête à quitter la galaxie et où l’on se remémore certains des mondes visitées. Le texte est une sorte d’assemblage de vignettes. L’ensemble peut sembler un peu bancal et même hors sujet par rapport au thème du recueil. Pourtant, j’ai fini par me rendre compte que chaque vignette parle d’un monde qui n’achève pas sa conquête de l’espace, à chaque fois pour une raison différente. Les situations diverses proposées par l’auteur sont assez originales et je trouve même qu’on a là un exemple de nouvelles qui manipule suffisamment d’idées pour écrire plusieurs textes plus longs, voire des romans. Le texte me semble donc un peu moins réussi que les deux précédents de l’auteur mais tout de même bien satisfaisant.
Kathleen Ann Goonan était elle aussi au sommaire de Engineering Infinity. Elle revient avec Wilder Still, the Stars, un texte qui parle de robots aux apparences d’être humains. Au point qu’ils ne sont pas forcément conscients de leur nature artificielle. Ces êtres semblent abandonnées par les entreprises qui les ont conçus et le personnage principal du récit, une femme qui voulait partir à la conquête de la planète rouge, commence à les recueillir et essaient de leur trouver une raison d’être. J’ai eu un petit peu de mal à rentrer dans ce texte mais je l’ai trouvé joli et réussi.
J’ai déjà eu l’occasion de lire Ken McLeod même je ne crois pas en avoir encore parlé sur ce blog. Les romans en question étaient pas mal et j’avais donc un souvenir plutôt positif de sa plume. Ça ne sera malheureusement pas le cas avec ‘The Entire Immense Superstructure’: An Installation. Le texte parle d’art et d’une sorte de wikipedia des objets. Je n’ai pas compris grand chose au texte qui me semble ne mener nulle part.
Dans In Babelsberg on voit une exploration du système solaire à base d’entités artificielles. Alastair Reynolds présente un récit raconté à la première personne par l’une de ses entités. L’auteur mène assez bien sa barque, installant le lecteur dans le point de vue du personnage avant de le faire douter avec un retournement de situation.
Enfin, cette anthologie se termine par un texte de Peter Watts, déjà présent dans l’un des volume précédent. Et autant j’avais beaucoup aimé son histoire de drone, autant cette fois j’ai trouvé ça raté. Je n’ai pas réussi du tout à m’attacher au personnage principal de Hotshot, principalement du fait de sa colère permanente. J’avais d’ailleurs abandonné βéhémoth de Watts pour la même raison : trop de personnages en colère permanente. C’est donc loupé pour cette fois. Ce que je trouve assez amusant avec mes expériences récentes avec l’auteur c’est que c’est finalement le personnage le plus artifiel, le drone, auquel je me suis le plus attaché.
Ce troisième volume de la série Infinity a donc eu ses hauts et ses bas. Dans l’ensemble, le bilan est plutôt positif, notamment grâce à des textes comme celui d’Aliette de Bodard ou de Karen Lord. Je compte donc bien continuer et lire un jour Meeting Infinity. Cependant, cette anthologie n’étant pas encore dans ma bibliothèque, je vais peut-être d’abord m’occuper un peu d’un ou deux volumes parmi la dizaine d’autres anthos qui encombre mes étagères… dont quelques unes sont aussi dirigées par Jonathan Strahan.
Reach for Infinity
anthologie dirigée par Jonathan Strahan
illustration de Adam Tredowski
éditions Solaris
330 pages (format moyen)