Lorsque j’ai démarré ce blog, je comptais parler exclusivement d’imaginaire. J’ai à l’occasion publié quelques chroniques sur des thrillers, puisqu’il m’arrive de temps en temps d’en lire, sans pour autant en faire une habitude. Je vais cependant élargir un peu ma ligne éditoriale pour inclure maintenant des ouvrages historiques. En 2020, ce type d’ouvrage a représenté presque un tiers de mes lectures, une part en augmentation forte ces dernières années. Et comme je sens que j’écrirai volontiers sur plusieurs de ces ouvrages, je me suis dis qu’il était temps de passer aux actes et d’en parler un peu ici. Je commencerai donc avec un tout petit bouquin de rien du tout : Histoire de la Russie et de son Empire de Michel Heller, un pavé de près de mille quatre cents pages.
Cet ouvrage a pour ambition de présenter l’histoire de la Russie de sa naissance, aux alentours de l’an mille, jusqu’à la chute de la dynastie Romanov en 1917. Et de façon assez exhaustive, d’où le volume de texte.
Né en Biélorussie, l’auteur a vécu en URSS, connu ses camps de travail forcé, a émigré en Pologne puis s’est installé en France où il a enseigné l’histoire à la Sorbonne. Il décède en 1997 après avoir travaillé plusieurs années sur ce livre, qui paru donc de façon posthume.
L’ouvrage commence au neuvième siècle, au moment où une cité est en pleine ascension : Kiev. C’est la fondation de la Rus’ de Kiev, état dont l’une des origines serait du côté des vagues de vikings venus de Suède. L’auteur présente cette piste varègue sans pour autant en faire une certitude. Il s’attarde aussi un peu sur la notion de slave et l’origine possible de ce peuple.
Vient ensuite la montée en puissance de Kiev, son extension, ses interactions avec l’empire byzantin, ses règles de succession compliquées qui multiplient le nombre de souverains et sa rivalité avec Novgorod et Vladimir, avant qu’une autre ville n’émerge à son tour et n’entame son ascension : Moscou.
On voit comment cette cité devenue capitale d’une principauté va peu à peu devenir le centre d’un empire. Un parcours de plusieurs siècles, où l’on va croiser des voisins byzantins, des maîtres mongols, des rivaux lituaniens et polonais, puis suédois, ottomans ou autrichiens. Un récit où l’on reconnaitra quelques noms comme Ivan IV Le Terrible ou Pierre Le Grand.
Puis devenu empire sous la direction des Romanov, la Russie va continuer sa croissance. Toujours plus loin à l’est, tandis qu’au sud l’éternel voisin ottoman cède parfois du terrain avant d’en reprendre et qu’à l’ouest, une fois la vieille rivale qu’est la Pologne démantelée, l’empire austro-hongrois et le royaume de Prusse barrent définitivement la route.
Enfin, le blocage aussi à l’Est et même le recul avec la cession des possessions sur le continent américain puis l’humiliation de la guerre Russo-japonaise, avant que le grand embrasement de l’été 1914 ne pousse définitivement l’empire dans la tombe.
Au-delà des nombreux règnes qu’égraine l’auteur, et de leur succession souvent houleuse avec coup d’état et usurpateurs à foison, on voit les évolutions de la société russe. Notamment la question du servage qui ne sera réellement aboli que dans la seconde moitié du 19e siècle. On observe aussi les alternances de domination entre les courants « européen » et « asiatique ». La Russie est un pays dont la vision du monde a régulièrement alterné entre une implication dans le jeu européen ou au contraire un rejet pour se tourner vers la colonisation des terres à l’est.
La question de la religion est aussi régulièrement évoquée. D’une terre annexe de l’orthodoxie byzantine, la Russie va devenir un grand centre de ce courant chrétien. La relation entre les dirigeants religieux et politiques du pays va beaucoup évoluer avec le temps. Cet aspect est aussi important pour la compréhension de la nature autocratique du pouvoir des rois et empereurs russes.
Ce pavé montre aussi les évolutions du territoires et de ses peuples. Notamment la « division » progressive de la Russie en Russies : la Grande, celle que l’on connait aujourd’hui, la Petite, qui deviendra l’Ukraine, et la Blanche, qui donnera la Biélorussie. J’ai aussi compris à la lecture de cet ouvrage que l’aspect « contrôle de la population » et « méfiance vis à vis de l’extérieur » que je voyais comme des spécificités du régime soviétique ont en fait des racines profondes dans l’histoire du pays.
Enfin, Michel Heller ne parle pas seulement de l’histoire de la Russie, mais de l’histoire de son histoire. Il évoque régulièrement le regard des historiens tsaristes et soviétiques sur les événements qu’il présente. J’ai trouvé cet aspect particulièrement intéressant, tant la vision que l’on a du passé peut dire sur le présent de celui qui en parle.
L’épaisseur de cet ouvrage en fait un petit défi de lecture. On peut viser un titre moins volumineux pour se faire une idée générale du passé de la Russie. Mais le travail titanesque accompli par Michel Heller peut intéresser toutes celles et ceux qui veulent avoir non seulement une connaissance un peu détaillée de l’histoire de ce pays, de ces origines jusqu’à la chute des tsars, mais aussi une compréhension de la Russie actuelle. En tout cas, ce livre va rester dans ma bibliothèque et j’y ferai probablement quelques excursions à l’occasion pour revoir certaines choses.
Histoire de la Russie et de son Empire
de Michel Heller
traduit par Anne Coldefy-Faucard
éditions Perrin, collection Tempus
1372 pages, plus notes et chronologie (format poche)