De temps en temps, il y a dans l’imaginaire un ouvrage qui attire beaucoup l’attention, dont tout une partie de lectorat parle voire encense. Si je ne suis pas allergique aux bons conseils de lectures, j’ai cependant une tendance à me méfier un peu de cet effet de masse et parfois ça me rebute carrément. Mais parfois ça titille suffisamment ma curiosité pour que je décide de me lancer moi aussi dans la lecture du livre concerné. C’est ce qui est arrivé avec Le prieuré de l’orange de Samantha Shannon que j’ai lu dans sa version originale.
Il s’est écoulé près d’un millier d’années depuis que l’humanité a réussi à défaire Le Sans-Nom, dragon maléfique, et sa horde. Depuis, les différents pays s’occupent sans trop se soucier du fait que ce grand adversaire n’a peut-être pas été complètement éliminé.
La première chose notable sur ce roman, c’est son épaisseur. Même si l’on n’est pas au niveau d’un Steven Erikson ou d’un Brandon Sanderson en volume de texte, ça reste un livre qui est plutôt dans la catégorie volumineuse pour le genre. Mais contrairement à pas mal de pavés de fantasy, ça reste un roman seul et pas le premier volume d’un grand cycle. Et au vu du contenu c’est plutôt appréciable, tant il aurait été facile pour l’autrice de faire gonfler le texte pour en faire deux ou trois tomes plutôt qu’un seul. On a donc un récit assez riche en événements et qui ne se perdra pas trop en intrigues secondaires pendant des centaines de pages (oui La Roue du Temps, je pense à toi). Le texte a aussi l’avantage de se lire assez rapidement, le style n’étant pas très complexe. Ce qui n’empêche pas Shannon d’offrir quelques passages assez marquants en terme de sensation. J’ai ainsi bien apprécié la première mise en scène d’un dragon particulier, où les personnages ressentent bien l’odeur et la chaleur qu’il dégage, ça rendait la scène assez vivante.
L’univers proposé n’est pas trop basique et présente un minimum de complexité géopolitique (sans pour autant aller très loin non plus, soyons honnête). Cet aspect a quand même son importance pour l’intrigue puisqu’il s’agira d’unir un maximum d’interlocuteurs pour contrer la nouvelle menace. Le nombre de points de vue proposés est assez limité mais on croisera quand même pas mal de personnages au fil du récit. Cette légère complexité se retrouve d’ailleurs du côté des dragons, qui semblent en fait appartenir à différentes variantes avec des objectifs différents.
Cependant, ce roman n’est pas non plus une révolution ou un changement si grand que le laissait supposer certains éléments. Certes, les personnages féminins ont la part belle, on a droit à de la représentation lgbt, etc. Mais derrière ça on retrouve finalement une fantasy très classique, avec une grande menace purement maléfique à combattre en s’unissant au-delà des différences. Le personnage d’Ead est par moment une vraie Mary Sue et la bataille finale va se résoudre un peu vite et facilement sans que j’ai vraiment eu la sensation que les personnages aient eu à en baver un peu sérieusement. C’est dommage.
J’ai aussi trouvé que l’aspect religieux, qui est un point assez important dans l’ouvrage, est finalement assez caricatural et reste cantonné dans un cliché que l’on retrouve aussi allègrement du côté de certains thrillers vaguement ésotérique : une religion qui repose sur un dogme assez simple, voire carrément simpliste, et qui d’après « ceux d’en face » reposerait sur un mensonge concernant son acte fondateur. Je n’ai pas pu m’empêcher de lever les yeux au ciel en comparant avec la complexité des religions réelles, du nombre d’éléments composants leurs dogmes, des variations quasiment infinis dans leur pratique, leur éclatement en une multitude de branches diverses, etc. Par moment, j’ai l’impression que si la fantasy arrive parfois à sortir un petit peu du manichéisme dans les intrigues de lutte de pouvoir, elle reste encore au degré zéro de la représentation des religions. Et ce n’est pas Le prieuré qui changera cette donne.
Une fois la dernière page tournée, Le prieuré de l’oranger me laisse la sensation d’un livre agréable à lire, avec des personnages plutôt bien fait même si parfois un peu trop bons. Certains aspects liés à la représentation des genres sont bienvenus. Cependant, ça ne masque pas pour moi le fait qu’il s’agit finalement d’une fantasy assez à l’ancienne et qui reste bloquée dans ses habitudes. Il semble que l’autrice envisage de publier un autre roman dans le même univers, j’avoue n’être pas convaincu de le lire.
Le prieuré de l’oranger (The Priory of the Orange Tree)
de Samantha Shannon
traduit par Jean-Baptiste Bernet & Benjamin Kuntzer
illustration de Ivan Belikov
éditions De Saxus
990 pages (grand format)
disponible en numérique chez 7switch
Une réflexion sur « Le prieuré de l’oranger, de Samantha Shannon »