De temps en temps, un livre anglophone rafle tout une brochette de prix connu (Hugo, Locus, etc.) et ça attire généralement mon attention. Mais ça ne garanti pas que je lirai rapidement l’ouvrage en question, ou même que je le lirai tout court. Mais parfois, quelques années plus tard, le titre me revient à l’esprit et sur un coup de tête je m’y lance. C’est donc ainsi que j’ai lu Ancillary Justice (La justice de l’ancillaire en vf) d’Ann Leckie.L’empire Radch s’accroit en soumettant régulièrement de nouveaux mondes, en faisant usage de sa flotte de vaisseaux dirigés par des intelligences artificielles. Le récit se fait du point de vue de l’une de ces IA.
L’intrigue se passe en deux époques, avec un narrateur qui me semble être le même dans les deux cas. D’un côté, on suit le personnage principal alors qu’il semble être à la recherche d’un objet particulier et qu’il fait une rencontre inattendue. De l’autre, on suit le même protagoniste plusieurs décennies auparavant, lors de l’annexion d’une nouvelle planète par l’empire Radch.
Un point que l’on note assez rapidement dans le texte, c’est l’usage quasi-systématique du féminin par le narrateur, à part en quelques occasions où il identifie clairement quelqu’un au masculin. Ce choix est intéressant et illustre la difficulté récurrente du narrateur à définir le genre de ses interlocuteurs. En fonction de la culture et de la langue employée, il a parfois du mal à déterminer quel genre employer et on voit de temps en temps son malaise à ce propos. Je n’ai pas trouvé ce choix de narration gênant du tout, mais j’ai lu ce livre en anglais et j’ai cru comprendre que certains choix faits à la traduction française ont déclenché un débat. Sur ce problème d’approche par rapport au soucis que peut déclencher une réflexion sur plusieurs langues à la fois, j’ai retrouvé un peu de ce qu’Arkady Martine a mis dans son Un souvenir nommé empire.
Le personnage principal a une nature intéressante. Non seulement il est artificiel, comme ce cher Murderbot créé par Martha Wells, mais il est aussi multiple, étant à la fois l’IA d’un vaisseau et matérialisé par l’extension de plusieurs dizaines de corps physiques. Tout ça donne des choses intéressantes au niveau de l’écriture dans certains passages où se mélangent les différents points du vue d’un même personnage. Mais aussi sur la partie « présente » du récit puisque l’on constate que le narrateur n’est plus réduit qu’à un unique corps et que cela semble parfois le limiter dans ses actions, ce qui m’a rappelé quelques passages concernant Lovelace chez Becky Chambers.
L’empire Radch, que décrit l’autrice, est une structure expansionniste qui réalise ses conquêtes par la force si besoin et avec pas mal de violence s’il y a résistance. Le récit offre quelques aspects de cette politique. On voit aussi de quelle façon se pratique l’intégration des territoires nouvellement conquis. L’un des points que j’ai trouvé intéressant de ce côté est la façon dont les radchaai intègrent les divinités ou panthéons des civilisations assimilées. On retrouve là une pratique historique de certaines sociétés expansionnistes, comme l’empire romain. J’ai aussi adoré détester certains des membres de la société radchaai, avec son système de clientélisme (qui là aussi rappelle la Rome antique) et ses rejetons tête-à-claque persuadés d’être « naturellement supérieur » à autrui.
La justice de l’ancillaire propose un nouvel univers et une double intrigue que j’ai suivi avec plaisir et intérêt. La fin appelle clairement la suite, L’épée de l’ancillaire, que je me ferai un plaisir de lire.
La justice de l’ancillaire (Ancillary Justice)
d’Ann Leckie
traduit par Patrick Marcel
éditions J’ai Lu
506 pages (poche)
disponible en numérique chez 7switch