Petit à petit, je continue à avancer dans la série d’anthologies Infinity, dirigée par Jonathan Strahan. Après Meeting Infinity et une petite pause par une autre antho de Strahan, Life on Mars, me voici arrivé au cinquième volume, intitulé Bridging Infinity.
Dans cet opus, Strahan propose des textes qui doivent s’orienter vers l’idée de résoudre un problème, ou une énigme, tout en provoquant de l’émerveillement scientifique. Voici un volume qui peut proposer de la hard-science.
Le premier texte est signé d’un habitué de ce genre de thématique et aussi l’un de mes auteurs préférés : Alastair Reynolds. Dans Sixteen Questions for Kamala Chatterjee, on assiste à ce qui semble une soutenance de thèse par l’intermédiaire des questions posées à la doctorante et des réponses qu’elle y apporte. Au fil de la nouvelle, on va découvrir le sujet de l’héliosismologie mais on va aussi découvrir Kamala Chatterjee et l’auteur nous réserve quelques surprises des deux côtés. Un texte qui répond assez bien au cahier des charges et qui se lit avec plaisir.
On passe ensuite à Pat Cadigan, une autrice déjà présente dans certaines des anthos précédentes et qui nous propose Six degrees of Separation Freedom. Il y est question du recrutement des volontaires pour participer à la colonisation de l’orbite jovienne. J’avoue ne pas avoir été très emballé par ce texte. On a bien une chute qui justifie l’appellation de nouvelle et l’autrice propose divers éléments décrivant les spécificités imposées par la vie dans les colonies de Jupiter, mais ça me semble manquer de quelque chose pour faire le lien entre les diverses scènes proposées. Dommage.
C’est ensuite le tour d’un autre de mes auteurs favoris : Stephen Baxter. Dans The Venus Generation, on fait une nouvelle escale dans l’univers des Xeelees et en particulier du côté de l’étoile du berger. L’auteur nous propose un projet de terraformation un peu particulier. On va y retrouver pas mal de choses assez récurrentes chez Baxter : un récit qui s’étale sur plusieurs siècles, des bisbilles familiales, de la présence de vie sous différentes formes (et le dilemme de la protéger ou pas face à la présence humaine), un projet d’ingénierie planétaire conséquent, etc. Bref, l’auteur est bien sur son territoire et la nouvelle apporte sa petite surprise à la fin.
Je ne crois pas avoir déjà lu de texte de Charlie Jane Anders, Rager in Space est donc ma première expérience avec sa plume. Et ça n’est pas une réussite pour moi. Autant je veux bien accepter que la protagoniste et sa copine soient invitées par erreur à une sorte d’orgie sans fin dans un vaisseau devant sortir du système solaire, autant j’ai trouvé que la fin de la nouvelle était un poil risible. L’ambiance elle-même de fête sans fin et sans but est assez bien rendu, ainsi que le malaise de la protagoniste. Mais la chute dessert vraiment le texte, je trouve.
Le texte suivant est écrit à quatre mains. The Mighty Slinger est une nouvelle un peu plus longue que les autres dans laquelle Tobias S. Buckell & Karen Lord raconte la tournée d’un groupe musical à travers le système solaire. On voit en particulier l’utilisation de l’art pour créer des influences politiques, ce que j’ai trouvé intéressant. Mon principal reproche concerne l’utilisation d’un artifice pour permettre aux personnages de traverser les décennies que couvre le récit. Même s’il y a une justification derrière, j’ai trouvé ça un peu trop artificiel. Un détail qui affaiblit un peu le texte, à mon goût. Cependant, l’ensemble est assez bien.
Avec Ozymandias, je découvre la plume de Karin Lowachee. On y fait un tour dans une station spatiale en construction où le seul humain présent cohabite avec l’IA qui gère la station. Le point de départ est pas mal mais l’idée qu’utilise ensuite Lowachee ne me convainc qu’à moitié et je trouve la fin que la fin est expédiée un peu rapidement. Cependant, c’est assez dynamique et ça se lit bien.
Je retrouve ensuite Kristine Kathryn Rusch que j’ai déjà croisé dans certaines des anthologies précédentes. Dans The City’s Edge, elle nous propose un projet ambitieux en terme de construction. Enfin, un projet qui était ambitieux puisqu’il semble avoir échoué de façon catastrophique, coutant la vie à plusieurs personnes dont sa responsable. On suit le mari de cette dernière, qui essaie de faire son deuil tout en essayant de comprendre ce qu’il s’est passé. Je n’étais pas très convaincu au début du texte, mais l’autrice arrive à mener ça à une fin que je trouve assez satisfaisante, notamment par rapport au mystère entourant la cause de cette catastrophe.
On passe après à un duo de grand vétéran de la SF : Gregory Benford et Larry Niven. On part loin dans l’espace avec une expédition qui découvre un phénomène étrange dans un système stellaire inexploré. Ça sent assez bien la hard-science, il y a même quelques illustrations. Cependant, j’ai trouvé que ça manquait de quelque chose pour rendre ça vraiment emballant, au niveau narratif. Par contre, c’était assez agréable de voir une proposition de forme de vie autre qu’humaine.
Je retrouve ensuite Robert Reed, déjà croisé dans Engineering Infinity avec la nouvelle Mantis que j’avais trouvé intéressante. Dans Parables of Infinity, il revient dans son univers du Grand Vaisseau, dans lequel il écrit régulièrement romans et nouvelles. On suit une discussion entre un humain et une entité a priori artificielle beaucoup plus ancienne. Le texte est globalement correct mais fait un peu pâle figure par rapport à Mantis.
Avec Monuments, j’ai l’occasion de faire enfin connaissance avec Pamela Sargent, une autrice à la bibliographie bien fournie. On est ici dans un futur où le changement climatique a clairement eu un impact et où l’humanité monte des projets pour essayer de rafraichir la planète. La nouvelle nous raconte l’histoire d’une famille au fur et à mesure de la réalisation de ce projet, mais le point de vue choisi, qui n’est pas membre de cette famille, est assez intéressant. Dans l’ensemble, un texte agréable, notamment dans son écriture.
Je fais ensuite la connaissance d’une autre plume, celle de Allen M. Steele avec un texte intitulé Apache Charley and the Pentagons of Hex. Dans ce texte, on découvre une structure aux dimensions gigantesques. Quelques éléments qu’imposent l’auteur me paraissent un peu artificiels, pour justifier la difficulté à localiser les fameux pentagones du titre. Cependant, l’idée de recherche d’endroits plus ou moins mythiques dans une structure immense est assez plaisante.
Je retrouve encore un texte à quatre mains avec Cold Comfort, écrit par Pat Murphy & Paul Doherty. On revient dans un futur proche, en plein changement climatique avec le problème du méthane emprisonné dans le pergélisol arctique. Le texte propose une narratrice un peu ambivalente par ses actions et la solution proposée pour résoudre le problème du méthane ne manque pas d’intérêt. Mais la conclusion de la nouvelle offre une autre perspective et rend le tout plutôt satisfaisant.
Je suis par contre assez déçu par Travelling into nothing d’An Owomoyela. Le texte tourne entre autres autour de l’idée du pilotage de vaisseau par synchronisation entre l’esprit du pilote et celui du vaisseau. Mais je n’ai pas trouvé le personnage principal très intéressante et le récit n’a pas réussi à m’emporter ne serait-ce qu’un minimum.
Avec Induction, Thoraiya Dyer propose une histoire qui se passe aussi dans un avenir où le changement climatique fait monter les eaux et provoquent une réduction de l’espace habitable, notamment dans les pays insulaires. On nous propose ici une solution originale pour remédier au problème. Cependant, je trouve que si l’autrice donne quelques détails techniques sur un des points clés de son récit (le puits) elle fait quand même une grosse impasse sur l’autre élément important (les ondes) et c’est bien dommage parce que ça dessert pas mal la crédibilité de son texte. J’ai aussi eu un peu de problème avec le personnage principal et sa relation avec son demi-frère, dont j’ai du mal à cerner l’hostilité. Bref, une nouvelle qui manque de pas mal de choses pour me plaire.
Enfin, cette anthologie se conclut avec un texte de Ken Liu. Dans Seven Birthdays, on voit se succéder sept anniversaires d’un personnage. On démarre avec un futur très proche et un monde face au défi du changement climatique. Puis l’on va avancer dans le futur au fur et à mesure de ces anniversaires, jusqu’à finir bien loin du point de départ et en même si près. L’auteur égrène des thèmes variés à chaque anniversaire et n’hésite pas à aller chercher loin du côté émerveillement de la SF.
Comme les précédents, ce cinquième opus de la série Infinity contient des textes assez variés et sur lesquels mon ressenti est très variable. Si j’ai toujours plaisir à lire Reynolds ou Baxter, j’ai aussi eu quelques déceptions. Owomoyela m’avait bien plu avec ses textes précédents, mais cette fois j’ai eu la sensation d’un raté. Si Benford et Niven ne démeritent pas, j’ai trouvé que leur nouvelle manquait quand même d’un quelque chose. J’ai vraiment eu plaisir à retrouver Rusch, qui décidément me plait bien avec ses textes courts, et Liu m’a rassuré sur sa capacité à livrer des nouvelles assez fortes, après une petite déception avec son Regard. Et puis j’ai encore une fois eu l’occasion de me frotter à quelques plumes sympathiques pour la première fois, notamment à celle de Sargent qui est une vieille routière de la SF que je découvre enfin (il n’est jamais trop tard). Bref, si cet opus n’est clairement pas le meilleur de la série pour moi, j’y ai quand même trouvé à boire et à manger de façon tout à fait satisfaisante. Prochaine étape : Infinity’s War. A moins que je ne me laisse tenter par une autre anthologie dirigée par Strahan (j’en ai encore un stock à côté de cette série).
Bridging Infinity
anthologie dirigée par Jonathan Strahan
illustration d’Adam Tredowski
éditions Solaris
447 pages (grand format)