La guerre de Sécession est un sujet dont j’ai déjà un peu parlé sur ce blog et sur lequel j’ai déjà lu différents ouvrages, dont celui très massif de James McPherson. Ce début d’année voit la sortie en français d’un nouvel livre sur le sujet, par un historien déjà auteur de biographies des généraux Grant et Lee ainsi que d’un livre qui pose la question Le Sud pouvait-il gagner la guerre de Sécession ? Voyons donc ce que Vincent Bernard propose dans ce nouvel opus.
(une interview de l’auteur accompagne la sortie de cette chronique)
L’auteur commence par présenter son projet : proposer un ouvrage traitant d’un conflit assez méconnu en France, ou plutôt connu de façon très détournée par des œuvres culturelles (de Autant en emporte le vent à Les Tuniques Bleues il faut reconnaître que le grand public a un contact très déformé avec cette période). L’ambition est de revenir vers les sources primaires et de focaliser le récit sur la guerre elle-même et ses à côtés (interactions avec le domaine politique par exemple) tout en s’intéressant un peu à ses acteurs, des plus grands aux plus petits en passant par les observateurs. Et avant tout chose, Vincent Bernard pose la question des bornes chronologiques du conflit. Cette question chronologique est intéressante car elle permet bien de montrer qu’un conflit apparaît rarement ex nihilo et que ce que l’on considère généralement comme sa fin laisse pourtant des ondulations qui continuent de se propager à travers l’histoire ultérieure (et dans le cas présent, jusqu’à aujourd’hui).
L’auteur commence par répondre à deux questions essentielles sur un conflit : qui et pourquoi. Qui ? On va voir que les contours du Nord et du Sud ne sont pas aussi définis qu’on peut le croire en regardant une simple carte et que chacune de ces deux entités ne correspond pas, en tout cas totalement, aux clichés que l’on peut en avoir. Ainsi, le Sud n’est pas qu’une gigantesque plantation où quelques maîtres blancs encadrent une foultitude d’esclaves et que le Nord n’est pas qu’une gigantesque usine. Les subtilités et différences au sein des deux « camps » sont bien exposées. Pourquoi ? En général, la culture globale propose deux réponses à cette question. Soit l’esclavage, soit le mythe propagé après-guerre par les perdants d’un Sud qui se rêvait indépendant et libre. La réalité est évidemment plus complexe et si l’esclavage est bien la cause profonde du problème, elle n’est pas la seule.
Vincent Bernard rappelle bien à plusieurs reprises la jeunesse de la nation américaine à l’époque… une nation qui n’en était pas tout à fait une. Le pays a alors moins d’un siècle d’existence et tous ses habitants ne le perçoivent pas forcément comme tel. Cet aspect de « jeunesse » du pays tout comme celui de l’indépendance des différents états ne sont pas anecdotiques. Et cela se reflète aussi un peu sur la question militaire. En 1861, au moment où tonnent les premiers coups de canon, l’armée américaine est très petite (surtout comparée aux armées européennes) et totalement dispersée à travers un pays grand comme l’Europe. Nord et Sud vont devoir s’atteler à former, équiper et encadrer des dizaines puis des centaines de milliers de recrues. Une tâche qui n’aura rien de facile et demande du temps.
Comme toute guerre civile, la guerre de Sécession a provoqué de nombreux drames familiaux et locaux. Chacun s’est posé la question de son allégeance : faut-il rester fidèle à son état et renier ses serments vis à vis de l’état fédéral, comme Robert E. Lee, ou au contraire continuer à servir la jeune nation américaine tout en tournant le dos à son état d’origine, comme George H. Thomas ? L’auteur met bien en scène ces dilemmes. Il montre aussi les équilibres fragiles que tentent de maintenir Lincoln au début du conflit, notamment quand tous les états n’ont pas encore décidé du côté auquel se rallier.
L’ouvrage suit le fil chronologique des opérations militaires, en les regroupant suivant les différents théâtres d’opération. Ainsi, la dimension géographique reste bien présente pour le lecteur. Et on constate aussi bien la façon dont l’échelle des batailles et des pertes change avec le temps. Vincent Bernard met aussi en lumière la façon dont la politique du Nord glisse petit à petit vers une émancipation en pure forme et une guerre qui ne se terminera pas sans abandon pur et simple et l’adversaire. On voit enfin que ce conflit reste une guerre entre deux entités démocratiques ou tendant à l’être. Ainsi, l’année 1864 est cruciale car elle doit voir une élection présidentielle dans le Nord : du tempo des opérations militaires et de leur réussite dépend la réélection de Lincoln. Et du côté du Sud, les relations entre la Confédération et les états qui la composent n’est pas toujours des plus simples.
Enfin, une fois les derniers combats terminés, l’auteur parle de la Reconstruction, de son échec partiel et de l’histoire mémorielle du conflit. Notamment du fait que les vaincus remportent, au moins pendant un temps, la bataille de la mémoire. Il montre aussi que cette guerre a encore aujourd’hui des résonances fortes dans la société américaine.
La plume de l’auteur est agréable à lire et l’ouvrage dispose d’une petite quinzaine de cartes claires qui permettent de situer les états, de voir les différentes phases du conflit et le détail de quelques-unes des principales batailles. On trouve aussi à la fin quelques annexes, avec une chronologie et quelques éléments sur la population des états, les effectifs engagés, les pertes, etc. Enfin, une bibliographie non exhaustive mais déjà conséquente ainsi que des index complètent ce livre.
En un peu plus de quatre cents pages (annexes et notes incluses), Vincent Bernard livre ici une très belle synthèse de ce conflit que beaucoup connaissent en France sans réellement le connaître. La complexité de cet événement est bien exposée et l’auteur trouve un juste équilibre entre exhaustivité et simplicité. Rien ne me semble manquer dans les dimensions essentielles de ce conflit, tout en proposant un ouvrage nettement plus léger que celui de McPherson (un millier de pages pour ce dernier). Le même équilibre se retrouve dans les témoignages que cite Vincent Bernard, des grands généraux aux simples soldats et civil(e)s. Bref, une belle porte d’entrée sur le sujet.
La guerre de Sécession
de Vincent Bernard
éditions Passés Composés
392 pages, plus annexes, notes, bibliographie et index (grand format)