J’ai parlé ici d’un premier ouvrage de John Keegan, intitulé Anatomie de la bataille. Ce livre est le premier d’un triptyque regroupé en un seul volume dans une édition française et je vais causer un peu du deuxième livre : L’art du commandement.
Si dans Anatomie de la bataille il était question de regarder le combat à hauteur d’homme en s’intéressant au simple soldat, cette fois on va à l’autre bout de l’échelle hiérarchique et on se penche sur ceux qui dirigent les batailles. Pour ce faire, Keegan va proposer quatre commandants correspondant à quatre époques et quatre profils différents.
Le premier est le mythique Alexandre le grand, exemple de ce que l’historien appelle « l’âge héroïque ». Un exemple et une époque où le commandant d’une armée doit non seulement être sur le terrain mais souvent participer directement au combat, mener des charges de cavalerie, etc. Alexandre a été maintes fois blessés au combat et il a presque le devoir d’être héroïque s’il veut pouvoir diriger son armée.
Le deuxième profil est celui d’Arthur Wellesley, plus connu sous son titre de Duc de Wellington. Keegan le présente comme un exemple de « antihéros ». Le commandant est encore présent sur le champ de bataille mais il ne participe pas lui-même au combat, accaparé par le commandement d’une masse de soldats trop importante pour pouvoir être menée de l’avant par un seul homme. Il est cependant encore très exposé au feu ennemi.
Le troisième exemple est celui d’Ulysse S. Grant, qui termina la guerre de Sécession comme commandant des forces armées de l’Union. Il s’agit cette fois du « commandement sans héroïsme ». Encore régulièrement présent sur le champ de bataille ou à proximité, mais rarement en position de danger. Il dirige une masse d’homme de plus en plus importante et travaille avec une sorte de modestie : pas d’uniforme rutilant, peu de formalisme dans les relations avec les soldats.
Enfin, le dernier exemple est celui du moustachu le plus infâme de l’histoire : Adolf Hitler. Keegan en fait l’illustration du « faux héroïsme ». Il ne fréquente pas les champs de bataille mais pourtant il s’affiche comme une sorte de commandant héroïque, sacrifiant tout pour son combat.
Dans les quatre cas, l’historien propose un résumé de la carrière du personnage. Il présente ensuite l’armée qu’il dirige ainsi que l’état-major qui lui sert de courroie de transmission. Enfin, il analyse son style de commandement. L’une des choses intéressantes et qu’il montre bien que si les styles peuvent avoir une composante de caractère personnel, ils sont aussi et surtout fonction de ce que dirige le commandant. On ne peut pas commander trente mille hommes dans une bataille en plaine comme on commande plusieurs millions de soldats répartis sur des milliers de kilomètres de front. L’échelle de ce que l’on manipule amène forcément des contraintes qui influent sur la façon dont on peut s’en servir.
En conclusion, l’auteur propose quelques réflexions sur ce que pourrait être le commandement à l’ère du nucléaire et il essaie d’en définir les impératifs.
Avec cet ouvrage, John Keegan propose un bon complément à son Anatomie de la bataille. Bien qu’il prenne le problème par l’autre bout de la lunette, celui du commandant au lieu du simple soldat, il montre bien que cela reste une activité accomplie par de simples humains et qu’il peut être intéressant d’analyser leur comportement.
L’art du commandement (The Mask of Command)
de John Keegan
éditions Perrin, collection Tempus
580 pages (poche)