Parmi les ouvrages historiques dont j’ai parlé ici, il a la biographie que Jean Favier avait consacré à Charlemagne. Un livre qui m’avait fait une très forte impression. Ayant fait l’acquisition d’une autre biographie de la même plume et en même temps, je n’ai donc pas trop tardé avant de me lancer dans la lecture de ce Philippe le Bel.
Plus ancienne, cette biographie adopte un schéma différent. En effet, l’auteur commence par brosser un portrait un peu général du roi lui-même, puis il s’intéresse à ses proches conseillers. Ensuite, il est question de l’hôtel du roi, de ses gens (les juridictions, etc.) et enfin un portrait général du royaume de France en son temps. Je trouve ce passage vraiment impressionnant. Favier y parle agriculture (que fait-on pousser et comment), l’économie, la possession de la terre, le commerce… et pourquoi dans certains domaines le pays est à un plus haut et sur le point de repartir à la baisse.
L’auteur s’intéresse ensuite à différentes thématiques concernant le règne du roi de fer. Deux chapitres parlent de la monnaie et des finances du royaume. C’est en partie très technique : on y parle de bimétallisme, de mutation des monnaies, de toutes sortes de mécanismes d’emprunt, d’impôt temporaire, etc. J’avoue ne pas avoir compris probablement la moitié de ce que Favier expose. Mais j’ai pris positivement cette incompréhension : elle illustre bien la complexité du sujet abordée, complexité dont ne se cache pas l’auteur. De plus, elle me permet de toucher un peu du bout du doigt la difficulté qu’on connu Philippe le Bel et ses conseillers. Le royaume de France était alors peu fourni en techniciens à même de saisir les tenants et les aboutissants de ce genre de problématique. Ce qui explique bien pourquoi ça tourna régulièrement à l’échec et que jamais le roi ni ses conseillers ne trouvèrent de solution satisfaisante aux problèmes financiers du pays.
Le chapitre sur la guerre illustre aussi la situation géopolitique et le pouvoir réel d’un roi de France au 14e siècle. On est loin de l’absolutisme, si le roi est le suzerain des seigneurs de son royaume, il n’est pas simple pour lui de faire appel à eux en toutes circonstances. Mener la guerre demande souvent des négociations, beaucoup d’argent pour satisfaire un peu tout le monde – ce qui nous ramène aux problèmes soulevés dans les chapitres précédents – un certain équilibre avec les puissances voisines, etc.
Un gros morceau de l’ouvrage est aussi consacré aux relations avec l’institution papale. Les confrontations avec Boniface VIII sont récurrentes et ce dernier a de grandes ambitions pour le monde chrétien et en premier lieu la France. Philippe le Bel lutte clairement pour garder un maximum de contrôle sur son pays et sur l’église catholique française. On voit là aussi toute la complexité de l’échiquier politique européen de l’époque : un roi d’Angleterre dont le fils va devenir le gendre du roi de France, un pape en lutte contre l’empereur du Saint-Empire Romain Germanique, une péninsule italienne éclatée entre cités gibelines et guelfes, un frère du roi à la recherche d’un trône, une croisade que l’on prétend préparer mais à laquelle pas grand monde n’a réellement envie de participer, etc.
L’affaire du Temple n’est évidemment pas oublié. Si la saga des Rois maudits de Maurice Druon en a fait un élément clé de son récit, ce n’est pas pour rien. Le roi cherche à faire le ménage dans son royaume et Favier montre qu’il n’y a cependant pas là la simple main-mise sur un trésor, d’ailleurs pas vraiment existant. Les tractations pour juger les templiers puis faire dissoudre l’ordre, avec un pape qui entre temps a changé et dépend en partie du bon vouloir du roi de France pour exister, les retournement de situation, les maladresse de Jacques de Molay, grand-chef de l’ordre, etc. L’affaire est abondement présentée, avec moult détails. L’auteur cherche clairement à s’éloigner des images propagées par la légende et à préciser ce que l’on sait, de façon plus ou moins avérée, sur cette histoire.
Même constat sur l’affaire de « l’attentat d’Anagni », qui met fin au règne de Boniface VIII. Favier est précis dans les causes qui mènent à l’événement, il écarte les images d’Épinal et reconstituent le déroulé de l’action. Cette séquence prend presque des airs de thriller, avec un Guillaume de Nogaret qui navigue entre partisans et opposants du pape pour parvenir à lui livrer, avant la fin d’un véritable compte à rebours, une notification venant du roi. C’est carré sur le plan historique et pourtant c’est prenant. Comme quoi, on peut respecter l’histoire et amener une pointe de tension digne d’une œuvre de fiction.
Le livre se termine sur la fin du règne du roi de fer. La succession en apparence bien assurée commence à prendre du plomb dans l’aile avec l’affaire des brus du roi – autre épisode bien connu de la légende, grâce à Maurice Druon. Encore une fois, Favier fait preuve de rigueur tout en montrant bien en quoi la situation présente tout de même un danger pas forcément exagéré par la fiction.
Ce livre est une belle somme de travail. Jean Favier livre une bibliographie détaillée et commentée et on constate qu’il a aussi travaillé à partir de sources primaires, dont il livre d’ailleurs de nombreux extraits dans son ouvrage. Si la forme choisie, un récit non chronologique du règne, peut surprendre un peu, elle procure pourtant une certaine cohérence, notamment en permettant de traiter thématiquement le règne d’un des plus célèbres Capétiens. Chaque thématique traitée donne une clé de compréhension pour les suivantes et l’auteur sait bien faire les petits rappels nécessaires pour aiguiller le lecteur. Au final, voilà un ouvrage riche et dense, un peu exigeant avec son lecteur mais qui fournit une lecture très enrichissante. L’ouvrage date un peu, il a été publié en 1978, et j’ignore totalement si depuis d’autres biographes ont pu aller plus loin sur le sujet. Mais le défi me semble bien ardu à relever.
Philippe le Bel
de Jean Favier
éditions Talandier
580 pages (poche)