Certains événements historiques qui sont peu, voire pas connus, du grand public chez nous peuvent au contraire avoir un rôle très important dans la vision historique d’autres pays. C’est le cas de la guerre de l’opium, sur laquelle j’ai décidé de me pencher grâce à cet ouvrage.
Classiquement, Julia Lovell commence avant les premiers coups de canon pour présenter le contexte et l’enchaînement qui conduit au conflit. Sa présentation est intéressante car elle met en parallèle le récit produit par les deux acteurs de cette guerre : la Chine et le Royaume-Uni, tout en les confrontant à ce que les diverses archives et témoignages racontent à ce sujet. Et ce point va dans la lignée du ton de l’ouvrage : l’historiographie du conflit est en permanence au cœur du récit. Les enjeux mémoriels sont tellement forts autour de cet événement, en particulier en Chine, qu’il convient d’être prudent dans la façon de le présenter.
Ainsi, et à rebrousse-poil de la version enseignée en Chine se basant sur l’idée d’un Royaume-Uni souhaitant affaiblir le pays par l’intermédiaire de la consommation de drogue, la genèse que propose l’autrice est plus nuancée. La part de malentendu, pas très surprenante entre deux états qui n’avaient jusqu’ici pas vraiment de relations diplomatiques, est assez importante. En bonne historienne, elle présente aussi un petit tour d’horizon de la perspective que voyaient les acteurs de l’époque. L’un des dangers de l’histoire quand elle est étudié un peu trop rapidement et avec facilité est la téléologie. Lovell montre bien les préoccupations des deux empires au moment où ce conflit va démarrer : ni la Chine, ni le Royaume-Uni ne considère l’autre comme un problème important ou urgent à régler.
Une fois les hostilités déclenchées, l’autrice déroule le fil des événements, avec les différents affrontements, les phases de négociations ou d’absence de ces dernières quand l’un des deux côtés ne comprend pas trop ce que veut l’autre. Cette incompréhension irrigue littéralement tout le récit. Les deux empires ont des cultures, notamment politique, très différente et trop d’ego pour vraiment accepter que l’autre puisse avoir un fonctionnement différent. D’où une difficulté à communiquer et négocier.
Un autre point assez flagrant, particulièrement du côté chinois, est le mensonge. Si du côté britannique on voit qu’à certaines occasions les acteurs sur place prennent des décisions contraires à leurs ordres, du côté chinois c’est un véritable festival. Les responsables successifs que nomme l’empereur pour s’occuper de cette affaire rendent quantité de rapport déformant totalement la situation, faisant passer des défaites humiliantes pour de belles victoires ou accusant bien évidemment tout autre personne de la responsabilité de chaque ratage.
Dans un bon bouquin historique, on parle aussi un minimum de l’après. Ici, la partie qui lui est consacrée est assez importante. D’une part, Lovell fait le résumé des événements qui suivent, notamment de la seconde guerre de l’opium et de la révolte des boxers, mais aussi du reste des relations entre la Chine et l’occident. D’autre part, elle fait l’historiographie de ce conflit, de sa fin à nos jours. On voit ainsi comment cet événement passe par différentes appréciations en Chine, jusqu’à devenir cette sorte de mythe fondateur du roman national chinois actuel.
Cet ouvrage aura été une très bonne lecture. Je connaissais quelques éléments sur la guerre de l’opium mais j’ai apprécié d’avoir un éclairage beaucoup plus complet sur ses causes, son déroulement et ses conséquences. La partie historiographique a été une bonne surprise, je ne l’attendait pas si importante et rétrospectivement ça parait nécessaire. Bref, voilà un très bon livre qui, comme le propose l’autrice en introduction, appelle de la part de quelqu’un d’autre un ouvrage équivalent pour la deuxième guerre de l’opium.
La guerre de l’opium (The Opium War)
de Julia Lovell
traduit par Stéphane Roques
éditions Buchet Chastel
467 pages, plus chronologie, liste des personnages, bibliographie, notes et index (format moyen)
>>>j’ai décidé de me penché
Ouch !
Je crois que je suis un peu fatigué en ce moment.
Merci. 🙂