La traque et la déportation des juifs de France est un sujet qui reste générateur de polémique, généralement par des gens qui nagent en plein révisionnisme. Et s’il est devenu difficile pour ce genre d’odieux personnage de nier complètement la réalité de la Shoah, encore que certains n’hésitent pas, un autre axe de négation consiste à tenter d’amoindrir le phénomène d’une façon ou d’une autre. Notamment en tentant de minimiser la participation française à ce crime contre l’humanité et en continuant à propager des mythes sur la protection que le régime de Vichy aurait pu accorder aux juifs de France. Tout ça a déjà été largement démonté par les historiens. En m’intéressant un peu à la question je me suis lancé dans la lecture de cet ouvrage de Laurent Joly, spécialiste du sujet.
L’ouvrage n’est pas très épais mais riche. L’auteur propose plusieurs axes. D’abord, il produit la chronologie des événements et les choix faits par les intervenants menant aux décisions prises par le gouvernement de Vichy. On voit ainsi non seulement comment Vichy glisse plus ou moins vite vers la participation à la Shoah. Par moment, le gouvernement collaborationniste anticipe les demandes des allemands et propose plus qu’attendu par ces derniers, notamment au début. A d’autres moments, on voit au contraire que Vichy tente de ralentir l’affaire, par exemple lorsque les opérations militaires commencent à faire douter sérieusement d’une victoire de l’Allemagne. Du côté allemand, on voit la succession des différents intervenants, avec leur style personnel, et l’affirmation de plus en plus nette que leurs demandes doivent être satisfaites sans discussion.
L’auteur dégage bien les différentes phases de cette collaboration dans la persécution, qui va commencer par s’attaquer aux juifs « étrangers », en élargissant rapidement la définition de ce caractère « étranger », notamment par l’abrogation rapide du décret Crémieux. Puis la « sélection » va s’élargir de plus en plus, les rafles se faisant plus larges. On voit aussi les changements dans les techniques pour mettre la main sur les victimes : au début on convoque en commissariat pour des « contrôles » qui se concluent par une arrestation et une déportation, puis on passe à des rafles.
Le propos de l’ouvrage est aussi de faire un portrait, rapide, de différents acteurs de ce drame. D’un côté, Laurent Joly fait la galerie des décideurs, les politiques et grands administrateurs. De l’autre, il propose un éclairage sur quelques exécutants du bas de l’échelle et montre la diversité de comportement des policiers auxquels a été confié la charge de diverses opérations et notamment la rafle du Vel’ d’Hiv’.
L’un des points que j’ai trouvé très intéressant, et aussi glaçant, c’est le comportement de l’administration française. Si quelques personnages ont essayé de louvoyer pour ne pas s’impliquer alors que d’autres sautaient à pieds joints dans la collaboration par haine antisémite, le prix du profil le plus abject revient, selon moi, à ceux qui ont collaboré par orgueil professionnel. Ceux pour qui le plus important étaient de respecter les « règles », quoi qu’impliquent ces dernières, et qui ce sont fait un « honneur » d’être efficace dans leur travail. Qui ce sont assuré que les juifs correspondant aux bons critères étaient bien expédiés par train vers l’Est et la mort. Des contributeurs de génocide pas par haine, mais par pur égo.
L’ouvrage de Joly aborde encore de nombreux autres points : que savaient les différents intervenants du destin des juifs déportés ? Quid de l’opinion publique, dont l’influence sur les choix faits par Vichy n’a peut-être pas été nulle ? Quel impact des protestations religieuses ? Et enfin, quel jugement après guerre pour les acteurs de ce génocide ? Ce dernier point s’étale de l’immédiat après-guerre jusqu’à la fin du 20e siècle et le procès Papon.
Dans un livre finalement assez court, à peine plus de trois cent cinquante pages au format poche, y compris un gros volume de notes, Laurent Joly parvient à livrer tout un panorama de la participation du régime de Vichy, et donc de l’état français, à la persécution des juifs. Par cette richesse de contenu dans un volume assez restreint, ce livre me semble une bonne introduction au sujet.
L’état contre les juifs
Vichy, les nazis et la persécution antisémite
de Laurent Joly
éditions Flammarion
collection Champs Histoire
360 pages, y compris notes (poche)