Les échecs, ça n’est pas la guerre

L’idée de faire une comparaison entre le jeu d’échecs et l’art de la guerre, notamment de la stratégie et la tactique, rode dans ma tête depuis un bon moment. Les diverses références à ce lien supposé, que ce soit sérieusement ou avec humour, à propos de Poutine et de sa gestion de la guerre en Ukraine me titillant régulièrement, la tentation est allée grandissante. Et finalement, au quatre cent douzième bot pro-russe y allait de son « Poutine est trop un super joueur d’échecs en 5D », j’ai craqué. Voici donc un article où je vais développer le propos suivant : les échecs n’ont pas grand chose à voir avec la stratégie ou la tactique et globalement avec la façon de gérer une guerre.

N’ayant aucune expérience militaire et n’étant pas plus spécialiste du sujet, que ce soit en tant qu’historien militaire, stratégiste ou autre, le présent article n’est que le fruit de mes réflexions de simple lecteur régulier d’histoire militaire, d’abonné à une revue d’actualité sur le domaine de la défense et de joueur de wargame, RTS, tactical, etc. Bref, ça ne vaut guère plus qu’une discussion de comptoir, mais comme je suis chez moi, je fais ce que je veux.

Je vais énumérer toute une série de caractéristiques dont je trouve, de mon point de vue, qu’elles présentent une différence notable dans leur application dans le jeu d’échec de celle qui correspond à un véritable conflit. Je ne m’interdirai ni l’humour, ni la mauvaise foi.

Les objectifs stratégiques. La guerre c’est comme n’importe quel sport ou jeu de société : le but c’est de gagner. Aux échecs aussi et c’est relativement simple : mettre le roi adverse en échec et c’est réglé. A la guerre, c’est nettement plus compliqué. Tout le monde connait une citation de Clausewitz, y compris celleux qui ne l’ont jamais lu (et j’en fais partie, une lacune que j’espère bien combler un jour) « La guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens. » On fait rarement la guerre parce qu’on s’ennuie le dimanche soir au fin fond de la steppe d’Asie Centrale. Il y a une idée derrière : annexer totalement un voisin, obtenir une concession commerciale, placer un prétendant dans un mariage, rappeler qui est le patron à l’un de ses états-client, etc.

Bref, il y a un objectif politique et pour l’atteindre et donc forcer la partie adverse à plier à ces exigences, il faut lui faire suffisamment mal pour la convaincre de céder. Le général André Beaufre parle de la stratégie comme une « dialectique des volontés ». Il faut trouver ce qui fera mal à autrui et appuyer dessus pour le faire céder.

Dit comme ça, ça parait simple, dans la réalité c’est parfois plus compliqué : on a souvent une vision partielle et biaisée des autres et on peut se planter sur ce que l’on identifierait comme des faiblesses. Et une fois la guerre débutée, l’autre partie aussi peut jouer la même partition : taper là où ça fait mal. Le jeu se double aussi d’une tentative de compréhension des objectifs de l’autre : que veut-on me contraindre à faire et comment ? Savoir là où l’autre veut appuyer est un bon prélude pour l’en empêcher.

Aux échecs, c’est facile et simple : on doit mettre en échec le roi adverse tout en empêchant l’autre de faire de même. Les objectifs des deux parties sont clairement définies, identiques et connus de tous. Dans la guerre, c’est nettement moins évident. Les historiens ont passés des décennies à essayer de comprendre les objectifs stratégiques allemands pendant l’opération Barbarossa. Parfois, l’un des belligérants n’a pas clairement identifié ses propres objectifs. Ou alors ils changent en cours de route. Les historiens du futur auront probablement du travail pour essayer de comprendre exactement quelle est la stratégie suivie par Poutine en Ukraine. Bref, sur ce plan les échecs sont totalement balisés et sans aucune surprise, au contraire de la guerre.

Le brouillard de guerre. Ce point sera très probablement une évidence pour tous les pratiquant-e-s de wargame, de RTS, de Tactical ou même de jeux comme Civilization. Dans le monde réel, aussi connecté soit-il devenu, on a toujours qu’une vision partielle et souvent déformée de la réalité. Dans un conflit, on n’a jamais une connaissance exacte des moyens de l’ennemi et de l’emploi qu’il en fait. La recherche de la position de ses unités et de leur mouvement est une élément capital. Sans ce type d’information, il est difficile d’établir une marche à suivre, à part « on attend ici et on verra si quelqu’un finit par nous tomber dessus. » Ce point est parfaitement connu des praticien-ne-s des activités ludiques que j’évoque ci-dessus. Mais ce brouillard de guerre se double dans le cas de la direction d’un conflit réel : un chef n’a qu’une connaissance partielle de l’état et de la position de ses propres troupes. Il est fréquent qu’une unité perde le lien avec son étage supérieur ou inférieur et en soit réduit à des supputations. Est-ce que la division Tartempion a réussi à contrer le corps de Duchmol hier de l’autre côté de la colline ? Vous ne le saurez peut-être pas avant qu’il ne soit trop tard. Je me permets de citer Victor Hugo a propos de Napoléon à Waterloo : Soudain, joyeux, il dit : « Grouchy ! » – C’était Blücher ». Aux échecs, tout est visible pour tous en permanence, zéro surprise de ce côté-là.

Les moyens. Ceci devrait être une évidence. La guerre n’est pas une partie d’échecs, ni un match de foot : les deux adversaires n’ont pas les mêmes moyens. Et encore, le foot est déjà plus proche de la guerre puisque si les deux équipes comptent en principe onze joueurs, ces derniers ne sont pas identiques et il y a souvent des différences de niveau. On ne peut pas parler d’égalité entre une équipe amateur de huitième division et une team de la Champion’s League. Les conflits obéissent généralement au même principe : les effectifs sont rarement équivalents en nombre et en qualité. Les équipements ne sont pas les mêmes. Les doctrines d’emploi diffèrent d’un camp à l’autre. Et ainsi de suite. Aux échecs, les deux joueurs ont exactement les mêmes cartes en main. Le seul élément de déséquilibre est le fait que les blancs jouent en premier.

De plus, les capacités des pièces sont strictement identiques et les prises se font sans aucune distinction : une dame peut-être prise par un pion comme par une autre dame. Si un sabre ou une baïonnette restent des armes parfaitement mortelles, elles sont sans effet contre un engin blindé. Si les déséquilibres de capacité peuvent être en partie comblés par la qualité du personnel, des tactiques audacieuses, etc. il y a quand même des limites et tout n’est pas possible.

Le facteur moral. Une pièce d’échecs n’a pas de conscience et donc aucun problème de moral. Elle n’a pas besoin d’être motivée, on n’a pas à lui expliquer les raisons du combat, etc. Aucun joueur d’échecs n’a eu à tenir un discours pour galvaniser ses troupes avant la bataille, ni à les motiver au cours du combat pour les aider à tenir. Pas de troupe à remettre sur pied après un recul pour les faire repartir dans le bon sens, etc. Dans un conflit, on encadre des humains qu’on ne peut pas diriger comme des pièces d’échecs (ou alors pas longtemps). C’est comme tout travail en équipe, que ce soit dans une entreprise ou un club sportif : il faut motiver, encadrer, rassurer, admonester, etc.

La logistique. Un être humain, ça mange, ça boit et ça besoin de se reposer régulièrement. Quand on en déplace par milliers ou plus, ça multiplie ces besoins et si on n’a aucune structure pour organiser ça un minimum, on ne va nulle part. Même l’option « on vit sur le pays en pillant comme des salauds », ça demande de l’organisation : en général on monte des équipes qui vont faire le tour de zones plus ou moins précises pour ramasser ce qu’ils trouvent. Chacun ne part pas piller une boutique pour faire sa tambouille perso. Les armées modernes sont naturellement des gouffres logistiques qui engloutissent tout et n’importe quoi : nourriture, boisson, munitions, pièces détachées, carburant, lessive, connexion internet, etc. Mais dès l’Antiquité la question de la logistique était centrale. Et déjà à l’époque les besoins dépassaient le simple « logis et couvert ». Il faut des munitions pour les archers, frondeurs, etc. Du matériel de rechange pour tous (boucliers, épées, lances, armures, etc.) Du fourrage et des fers pour les chevaux (éléments clés de la plupart des armées jusqu’au début du vingtième siècle). Et des chaussures. Beaucoup de chaussures.

Cette logistique impose donc des contraintes aux armées. On ne se déplace que là où l’on peut se nourrir. Si on n’a plus les moyens de remplacer le matos usé/perdu, l’efficacité fond comme neige au soleil. Cet aspect est tellement important qu’il peut même devenir un axe d’action : pourrir la logistique de l’autre, c’est améliorer ses chances. La politique de la terre brulée est une vieille pratique qui peut s’avérer très efficace. Aux échecs, on s’en cogne. Vos pièces peuvent s’éparpiller dans tous les coins, se faire isoler, etc. pas de problème de ravitaillement.

La géographie. Un échiquier, c’est simple, ça fait soixante-quatre cases identiques, organisées en huit par huit. On va où on veut, comme on veut. Le monde réel n’a rien à voir. C’est rarement tout plat et c’est presque toujours encombré d’un tas d’obstacles : colline, forêt, rivière plus ou moins large, marais, désert et bien sûr montagne. Tout ça impose de nombreuses contraintes sur la façon de déplacer ses troupes : tout ne passe pas partout et parfois rien ou presque ne passe à certains endroits.

Ainsi, les campagnes menées en Afrique du Nord pendant la Seconde Guerre Mondiale se cantonnent principalement à une bande de quelques dizaines de kilomètres le long de la côte. Impossible de contourner l’adversaire en passant plus au sud, le Sahara n’est pas traversable par une armée importante. Si la géographie permet parfois à un commandant audacieux, astucieux et surtout chanceux de provoquer une surprise, c’est beaucoup plus souvent un obstacle qui impose certains itinéraires. Vous pouvez toujours rêver de traverser l’Himalaya avec votre armée pour surprendre le voisin de l’autre côté, vous risquez surtout de paumer l’intégralité de vos troupes dans le trajet.

La communication. A part le chef de section sur le terrain, la plupart des commandants n’ont pas prise directement sur la totalité de leurs troupes et doivent recourir à toute une hiérarchie de subordonnés pour transmettre et appliquer leurs ordres. Toute personne ayant déjà joué au téléphone arabe voit vite comme cela peut dérailler. La communication par écrit n’est pas une garantie contre ce type de problème. D’une part parce que les messagers peuvent se perdre, se faire intercepter, se tromper d’unité, etc. D’autre part parce qu’il y a une différence entre ce que l’on pense et ce que l’on écrit et une autre différence entre ce que l’on a écrit et ce qu’un autre en comprendra. Tout le monde n’a pas le même type de rédaction d’un ordre, plus ou moins verbeux, plus ou moins précis, etc.

Quelle précision peut-on mettre dans un ordre ? « Attaquer la colline 412 », « Attaquer la colline 412 jusqu’à ce que vous ayez dix pour cent de perte », etc. Ou alors « Prendre la colline » plutôt que « l’attaquer ». Et pourquoi faire ? Si le but était de fixer l’ennemi dans le secteur, est-il vraiment nécessaire d’attaquer cette colline à la noix ? « Fixer l’ennemie autour de la colline 412 » ? Le général Grant avait la réputation de rédiger lui-même (et donc pas de dicter vaguement à un sous-fifre qui réinterprète) des ordres concis et précis ne laissant que peu de marge à l’interprétation. C’est loin d’être une généralité.

Et même dans le monde super-connecté actuel, un supérieur ne peut pas vérifier en permanence que ses subordonnés ont bien compris son intention. Les erreurs d’interprétation, les messages perdus, les pertes de communication, etc. restent une réalité. On doit composer avec, au contraire du joueur d’échecs, toujours assuré que ses pièces ne sont pas en train de passer sous un tunnel.

L’obéissance. Dans le monde militaire, un supérieur donne des ordres qu’appliquent les subordonnées. Ça, c’est la théorie et ça fonctionne exactement comme ça aux échecs. Le joueur décide de déplacer une pièce, la pièce se déplace conformément au souhait du joueur. Dans la pratique de la guerre, c’est une toute autre affaire. Et l’histoire militaire fourmille de moments où un soldat a refusé d’appliquer un ordre qui lui était transmis (ou de faire mine de ne pas l’avoir reçu, etc.) Les campagnes des alliés en Europe en 1944 et 1945 sont de bons exemples de ce problème : on ne peut pas blairer son supérieur, on ne veut pas laisser une unité « concurrente » prendre une position, etc. Les raisons pour ne pas appliquer un ordre sont légion.

Il existe une situation particulière et ultime qui reflète très bien la différence entre les échecs et le monde réel : le sacrifice. Aux échecs, un joueur peut sacrifier une pièce sans la moindre hésitation, le pion ne protestera pas. C’est même un mouvement fréquent dans ce jeu. C’est un point sur lequel la différence se fait aussi entre les wargames et autres formes de simulation et la réalité militaire. Dans le monde réel, on peut difficilement sacrifier des unités sans avoir auparavant créer un environnement propice. Il peut s’agir de la terreur, une situation où les unités sacrifiées auront moins peur de l’ennemi que de ses chefs. On peut aussi observer des occurrences où ce sacrifice est librement consenti : pour sauver la patrie, les camarades, etc. C’est d’ailleurs une source pour de belles légendes de l’histoire militaire. Mais cela reste des situations exceptionnelles qui ne reflètent pas du tout l’usage courant. Il faut donc composer avec une certaine tolérance aux ordres.

Le nombre de participants. Aux échecs, c’est facile, il y a deux joueurs et c’est tout. Dans les conflits, si dans la plupart des cas on peut distinguer deux « camps », le nombre de « joueurs » peut être nettement supérieur et variable. La Seconde Guerre Mondiale est encore un bon exemple. La date d’entrée en guerre des différents pays qui y ont participé varie considérablement, certains disparaissent en cours de route, d’autres changent de bord, etc. Un autre bon exemple historique est la Guerre de Trente Ans, qui a vu deux alliances à géométrie variable s’affronter. Tout ça demande généralement beaucoup d’effort pour travailler ensemble, parfois devoir surmonter des réticences, etc.

De plus, le problème se complique encore quand on élargit le cadre aux acteurs qui ne sont pas pleinement engagés militairement dans le conflit. D’autres puissances peuvent soutenir par des moyens financiers, matériels, diplomatiques, etc. Ainsi, les États-Unis sont déjà impliqués dans la Seconde Guerre Mondiale avant le 7 décembre 1941 : loi prêt-bail, escorte de navires marchands, etc. Le conflit actuel en Ukraine en est une autre illustration. L’Otan et d’autres puissances fournissent divers matériels : pas seulement des chars, des canons et des obus mais aussi des armes de petits calibres, du matériel médical, du génie, des groupes électrogènes, etc. L’aide passe aussi par le champ du renseignement.

Enfin, il y a les spectateurs. Un conflit intéresse a minima tous les voisins des puissances belligérantes. Le résultat peut, par ricochet, influer sur l’avenir des pays limitrophes. Et l’évolution de la situation peut même en convaincre certains de passer au statut d’acteur. Aux échecs, aucun risque qu’un membre de l’assistance, quand il y en a une, ne s’invite à la table de jeu avec ces pièces personnelles.

Les limites. Si le champ d’action des échecs ne connait pas la géographie, il a par contre des limites très claires. L’échiquier fait soixante-quatre cases, il y a des bords et on ne peut pas en sortir. Dans le monde réel, c’est moins évident. Il y aussi des limites mais elles ne sont pas aussi bien définies. Les pays belligérants ne sont pas des entités aux frontières étanches avec le reste du monde et il arrive que des forces passent la frontière de pays neutres, que ce soit pour se réfugier, transiter, voire carrément occuper le terrain. La Belgique a connu deux fois l’occupation au siècle dernier dans des conflits où elle comptait rester neutre. Bref, dans un conflit, on ne peut pas se limiter à un espace délimité et restreint, le champ des opérations peut toujours s’étendre et se diversifier.

Le fonctionnement alternatif. L’une des caractéristiques des échecs, ainsi que de nombreux autres jeux, dont des wargames, c’est le découpage de la partie en tour où chaque joueur joue à tour de rôle. Ainsi, à chaque action d’un joueur répondra une action de l’autre joueur. Et tant qu’un jouer n’a pas effectué son mouvement, l’autre doit attendre pour procéder à la suite de son plan. Aucun risque que l’adversaire vous prenne de vitesse en ne vous laissant pas réagir. L’initiative change de main de façon régulière. Dans un conflit, rien n’est moins vrai. Le contrôle de l’initiative est justement l’une des dimensions importantes des opérations militaires (et politiques de façon plus large). Si l’adversaire ne réagit pas, on peut enchaîner les mouvements et les actions sans entrave.

Et à l’inverse, il est aussi possible de ne pas agir, ce qui est interdit aux échecs. On peut attendre pour voir la direction que prend l’autre avant de réagir. Bref, la maîtrise du temps est une composante importante des conflits et globalement absente dans le jeu d’échecs. Notons que certains jeux de société, tout comme des wargames, proposent des systèmes où tous préparent leur actions en même temps et où la résolution du tour est globale, toutes les actions étant jugées en parallèle. Ceci amène déjà de gros changements dans la façon de gérer les choses.

Le fonctionnement séquentiel. Aux échecs, on déplace une pièce à la fois, à l’exception des deux roques. Impossible de mener des actions simultanées. Donc, aucun problème de synchronisation. Dans les conflits, cette simultanéité des actions est un vrai casse-tête, qui impose souvent de gérer au plus fin ses ressources humaines et matérielles, etc. C’est aussi une source d’opportunité sans fin pour celleux qui parviennent à diriger des opérations dans plusieurs directions à la fois. Ainsi, pendant la Seconde Guerre Mondiale, il est arrivé plus d’une fois que les différentes puissances coordonnent des actions offensives pour maximiser les tensions sur les forces adverses. Les opérations actuelles en Ukraine y ressemblent un peu : l’armée ukrainienne mène des attaques dans plusieurs directions à la fois, laissant planer le doute sur l’objectif recherché et poussant à la division des forces russes.

Notons en passant que les deux derniers points évoqués expliquent en partie pourquoi un jeu comme les échecs se modélisent très bien sur un ordinateur. Ce dernier gère facilement des instructions de façon séquentielle.

Une fin définitive. Une partie d’échecs, comme tous les autres jeux, a une fin au-delà de laquelle rien n’existe du point de vue de la partie en cours. Les joueurs peuvent utiliser tous les moyens à leur disposition pour l’emporter, sans se soucis de l’avenir. La partie suivante ne se jouera pas avec les restes de la précédente. Le phénomène est connu dans les wargames comme l’effet du dernier tour : plus besoin de prudence, on peut passer à l’attaque partout où c’est possible pour gratter quelques points supplémentaires.

Dans la réalité, non seulement on essaie de ne pas finir une bataille en ayant sacrifié quatre-vingt-dix pour cent de ses moyens pour s’assurer la victoire, mais on évite de mener une guerre sans penser à l’après. Quelle utilité de remporter un conflit si on en sort à peine moins mal que l’autre et surtout dans un tel état que n’importe quelle tierce partie peut venir vous racketter ? En général, un conflit a des conséquences internes et externes et il n’est pas aberrant de s’en préoccuper avant la fin des hostilités.

Les règles. Il y a des règles aux échecs, comme dans tous les autres jeux. Et elles doivent être respectées. Impossible de changer la façon de déplacer un cavalier, un pion ne peut pas faire marche arrière, etc. Dans un conflit, ce n’est pas vraiment le cas. Il existe des principes assez généraux, que l’on pourrait presque qualifier de règles : avoir un avantage numérique à l’attaque, prendre à revers dès que possible, tenir la ligne, etc. Mais rien n’empêche un commandant de décider de faire autrement. Certains principes existent parce qu’ils forment une sorte de bon sens, mais il n’est pas interdit de faire autrement. Parfois, ça mène à des actions débiles et à un résultat catastrophique. Mais d’autres fois, ça fonctionne, ça permet la réussite et celui qui serait passé pour un imbécile autrement peut se voir subitement qualifier de génie. L’évolution et l’adaptation sont des éléments importants pour la réussite sur le plan militaire. C’est une des clefs pour parvenir à dépasser l’autre. Il faut donc savoir contourner les « règles ».

Le hasard. Les échecs font partie des jeux où le hasard n’intervient pas. Tous celleux qui ont raté la case qu’iels visaient dans un jeu de société, sans parler des échecs critiques en jdr, comprennent très bien en quoi le hasard peut faire basculer une partie. Le plan le mieux huilé du monde peut tomber par terre en quelques secondes sur un coup de dé. La guerre n’y échappe pas et un dicton précise qu’un plan ne survit jamais au contact avec l’ennemi. Plus d’une situation a été sauvé ou définitivement empiré par l’effet du hasard. Cet élément est absolument impossible à maîtriser et pourtant indispensable à la réussite. Il peut s’agir d’une addition de petites choses comme d’un « événement ». Lors de la guerre de Sept Ans, la mort de l’impératrice russe Élisabeth Ière sauve littéralement la Prusse de Frédéric le Grand du désastre. A tous les niveaux, que ce soit du simple soldat au grand stratéguerre, le hasard joue. Il est impossible d’y échapper, tout au plus peut-on s’y préparer sans jamais être certain de ne pas être malgré tout surpris.

Les enjeux. Ce dernier point est peut-être le plus important. Le seul enjeu d’une partie d’échec est la victoire, éventuellement assortie d’un titre de champion du monde ou de n’importe quoi d’autre. Et rien de plus. On ne joue pas au poker de la même façon si on y a mis toutes ses économies ou simplement les petites pièces qui trainent au fond du porte-monnaie.

L’art de la guerre de Sun Tzu commence par les mots suivants : « La guerre est une affaire d’une importance vitale pour l’état, la province de la vie et de la mort, la voie qui mène à la survie ou à l’anéantissement. Il est indispensable de l’étudier à fond. » La guerre est une sorte d’absolue des enjeux. Que ce soit au niveau individuel – le simple soldat peut être amené à donner la mort ou la recevoir – ou au niveau collectif – un état peut disparaître suite à une guerre ou a minima en sortir très diminué.

Le poids de ce type d’enjeu change radicalement le comportement des individus. Le soldat le mieux entraîné du monde peut perdre ses moyens dès son baptême du feu. L’entraînement est un moyen d’améliorer ses chances de tenir le coup, mais aucunement une garantie d’y parvenir. Il en va de même des commandants. Avoir entre ses mains le destin de centaines, de milliers, parfois de millions d’individus peut constituer une responsabilité écrasante, au point de réduire à l’inaction. Plus d’un commandant a hésité à engager une bataille de peur d’y perdre trop d’hommes. Aucune expérience ludique ne peut retranscrire cette réalité.

Ainsi, je considère que l’expérience et l’expertise de joueur d’échecs a bien trop de différences avec la conduite d’une guerre ou d’une bataille pour que cela constitue un quelconque avantage en la matière. Un grand joueur d’échecs est bon… aux échecs et c’est déjà pas mal.

Si vous êtes arrivé-e jusque là, félicitations et merci pour votre ténacité. Cette diatribe de café du commerce est maintenant terminée. Il reste peut-être un peu de bière ou de limonade derrière le comptoir. Si c’est le cas, faites-vous plaisir. Et encore merci de votre écoute.

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