J’ai déjà parlé un peu ici de la Première guerre mondiale, principalement par le biais des ouvrages de Michel Goya. Et la collection Mystères de guerre des éditions Economica, dont j’ai chroniqué plusieurs volumes (sur Waterloo, Malte, Hannibal et Rome, la bombe atomique nazie…), propose justement un ouvrage sur le sujet, s’attaquant aux mythes entourant le début de cette guerre.
L’auteur propose donc douze sujets liés aux premiers mois de ce conflit. A chaque chapitre, il expose brièvement le sujet pour s’attaque à le contester et à fournir une version différente. Les sujets sont assez variés, des célèbres pantalons rouges à la vie dans les tranchées, en passant par les incontournables taxis de la Marne, le rôle du roi Albert Ier, la figure de Joffre, l’offensive à outrance, l’artillerie, etc.
Tous les sujets n’ont pas forcément été des découvertes pour moi. Je sais déjà que les taxis de la Marne ont joué au plus un rôle anecdotique, tout comme le fait que les périodes les plus « mortelles » de cette guerre n’ont pas été les tranchées, mais les périodes de mouvement au tout début et à la fin. J’ai tout de même eu quelques éclairages intéressants, notamment sur la question des fameux pantalons garance.
Certains sujets, comme les pantalons évoqués ci-dessus m’ont paru bien traités. Mais d’autres le sont d’une façon que je ne trouve pas très satisfaisante. La question des pertes est vraiment symptomatique. Les moments les plus meurtriers de ce conflit ne correspondent pas aux batailles les plus célèbres : Verdun, la Somme, le Chemin des Dames, etc. mais aux premières semaines d’opération, pendant l’été 1914. Et si l’auteur corrige ce point, il le fait presque en n’évoquant pas une seule fois le fait que les batailles célèbres et moins meurtrières restaient des boucheries sans nom. Ceci est d’autant plus grossier que l’auteur insiste bien sur les vingt-cinq mille morts du 22 août 1914 (possiblement le jour le plus meurtrier de toute l’histoire militaire française) mais il ne donne tout simplement pas un seul chiffre en comparaison sur des moments comme le Chemin des Dames ou le début de la bataille de la Somme. Une démarche correcte aurait, a minima, proposer des chiffres de différents événements pour bien comprendre l’écart. Là, l’auteur semble considérer que les lecteurices devront le croire sur parole.
Un autre point m’a déçu et même franchement agacé, ce sont les propos de l’auteur sur la fin de son ouvrage. Il tente une explication au pourquoi de la persistance de certains idées reçues. Et non seulement je trouve cette explication peu convaincante, mais surtout insultante pour la recherche historique actuelle. Grosso-modo, il regrette la disparition de l’histoire-bataille, seule à même semble-t-il dans son esprit à donner une vision correcte d’un événement de ce type si elle est correctement employé. Et il déplore le fait que les conflits sont maintenant étudiés sous de nombreux aspects qui, toujours selon son point de vue, ne relève pas vraiment de l’histoire mais d’autres sciences : s’intéresser aux petits et au gens d’en bas ce serait de la sociologie, de l’anthropologie ou n’importe quoi d’autre mais pas de l’histoire militaire digne de ce nom. Monsieur Delhez ferait bien de relire Anatomie de la bataille de John Keegan : ça s’intéresse eu point de vue du simple soldat et c’est pourtant bien de l’histoire militaire, c’est même un ouvrage important du domaine.
Bref, il y avait quelques bonnes idées dans la démarche et certains points méritaient vraiment d’être éclairés tant ils ont été perçus comme représentatif de la réalité pendant des décennies, et le sont encore parfois. Malheureusement, je trouve que l’auteur veut tant prouver sa lucidité qu’il fait parfois preuve d’un peu d’inhumanité. Ajoutons à cela un regard peu amène sur la production historique actuelle qui pour moi décrédibilise sensiblement le sérieux de l’auteur. C’est dommage, l’ouvrage aurait vraiment pu être quelque chose d’hautement recommandable.
Douze mythes de l’année 1914
de Jean-Claude Delhez
éditions Economica
collection Mystères de guerre
135 pages, plus bibliographie (grand format)