Il y a plusieurs années, j’ai lu La conquête espagnole de l’Amérique – miroirs d’un désastre de Gérard Chaliand. L’ouvrage était intéressant, notamment par les nombreux extraits de textes de l’époque qu’il propose. Cependant, le livre me paraissait manquer de détails et d’un peu de profondeur dans son propos. C’est dans avec intérêt que j’ai vu il y a quelques temps arriver un épais ouvrage sur le sujet.
La conquête de l’Amérique par les conquistadors commence dès la première expédition de Christophe Colomb. Cependant, l’auteur revient un peu en arrière pour présenter le contexte dans lequel se fait cette aventure. J’avoue m’être un peu attendu à voir l’ouvrage commencer avec Cortès et sa conquête du Mexique, mais il est en fait évident que tout cela démarre dès 1492.
On suit donc les quatre expéditions de Colomb, très vite imité par d’autres navigateurs européens. La colonisation des Antilles commence rapidement, avec des fortunes très diverses, avant de voir se succéder les aventures qui mèneront à la fin des empires aztèques et incas. Ces événements sont décrits en détails et leurs acteurs sont bien présentés par l’auteur. Ce dernier n’hésite pas à confronter différentes versions sur certains événements et à pointer les déformations ou exagérations de certains témoins.
L’un des points très intéressants de l’ouvrage est la relation que fait Cervantes entre la politique européenne et particulièrement celle de l’Espagne, la religion et les expéditions des conquistadors. Les choix des souverains espagnols concernant les Amériques ne sont pas sans lien avec la gestion de leur royaume et leurs ambitions européennes. Tout ceci s’influence à divers degrés et l’auteur le montre bien, notamment les problèmes de succession et les multiples couronnes des souverains espagnols (Castille, Aragon, etc.). La question religieuse est aussi exploré de façon détaillée et très éclairante.
Celleux qui connaissent un peu la chute des empires aztèque et inca savent que le mythe de la conquête de puissants empires par une poignée d’aventuriers est une exagération conséquente. Cervantes le montre en détail, dévoilant la mosaïque de peuples soumis au joug aztèques et prêt à se révolter contre Technotitlan ou bien les divisions de l’empire inca qui sort d’une guerre civile et fratricide au moment où arrivent Pizarro et ses hommes. Et si dans les deux cas les aventuriers espagnols ont su faire preuve de courage et d’audace, ils l’ont aussi emporté par leurs calculs politiques qu’ils ont réalisé pour leur permettre de gonfler leurs quelques centaines d’hommes de plusieurs milliers de guerriers locaux.
Les divisions se trouvent aussi du côté espagnol. Il y a de nombreuses rivalités entre les conquistadors, avec les gouverneurs, etc. Et chacun essaie de faire valoir ses arguments auprès de la cour royale, en s’imbriquant dans le jeu d’alliance de cette dernière.
L’auteur montre les très nombreuses difficultés de ces conquêtes, les ratages réguliers des espagnols et les considérations tactiques qui les animent : trouver les goulets d’étranglements dans les villes, préserver les chevaux pour produire des charges face à des adversaires qui en sont dépourvus, etc.
Un des nombreux mythes cassés par l’ouvrage est celui de l’effet « divin » produit par les conquistadors sur les populations locales. Certes, certains éléments ont concordé avec des prophéties locales et cela a parfois un peu influencé les autochtones. Mais ces derniers n’étaient pas dupes quand à la nature humaine de ces étrangers. Toutes les explications sur l’intégration de la religion catholique dans le paysage spirituel local est aussi très intéressante.
Les débuts de la gestion espagnoles des territoires américains sont aussi abordés. Le sujet est source de nombreuses disputes, de pas mal d’interrogations sur le rapport aux autochtones et leur statut. On voit aussi que rapidement les européens eurent conscience d’un déclin démographique, en partie dû aux maladies nouvelles pour les américains. L’auteur gomme également la vision de colonies clairement subordonnées au royaume d’Espagne, lui-même encore divisé en Castille et Aragon à l’époque, et explique la forme de ces vice-royautés et leur relation à Madrid.
Bref, cet ouvrage est très riche. Non seulement, Cervantes raconte dans le détail les expéditions des conquistadors, mais il présente aussi très bien les lien entre ces dernières, la couronne d’Espagne et sa politique interne et externe, la religion, l’économie, etc. C’est donc assez épais et d’une lecture vraiment passionnante.
Les conquistadors
(Conquistadores: A New History of Spanish Discovery and Conquest)
de Fernando Cervantes
traduit par Johan-Frederik Hel-Guedj
édition Perrin
590 pages, dont notes, biblio, index et cartes (grand format)
disponible en numérique chez 7switch
C’est intéressant.
Il y a aussi par Éric Vuillard ”Les conquistadors”,sur la chute de l’empire Inca.