Habituellement, je lis de la science-fiction plutôt « récente », disons postérieure à 1980, et dans le cas de quelques auteurs (Asimov, Clarke, Dick, etc.) des ouvrages remontant jusqu’au années 1940, mais rarement plus vieux. C’est donc une chronique un peu exceptionnelle puisque j’ai, enfin, lu La guerre des mondes.
La majeure partie du récit est fait à la première personne par le narrateur, dont nous ignorons le nom pendant la totalité du récit. Son identité précise reste donc un mystère. Il ne se présentera jamais réellement, pas plus qu’il ne donnera le nom de sa femme ou de son frère, dont il parle pourtant à plusieurs reprises. En fait, quasiment aucun personnage n’est nommé, le narrateur les présentant plutôt par leur profession ou fonction.
Cette écriture ne m’a pas gêné, parce que l’intérêt du roman est clairement ailleurs : dans la description d’un Royaume-Uni de la fin de l’ère victorienne, en apparence tout puissant et qui subit un choc violent lorsque les martiens débarquent pour conquérir la Terre. En commençant donc par l’Angleterre, parce qu’Hollywood n’avait pas encore pris son envol.
Car au moment de la publication de ce roman, en 1898, la puissance dominante au niveau mondial est clairement le Royaume-Uni, à la tête d’un empire sur lequel le soleil ne se couche pas. Une puissance impérialiste et coloniale qui a planté son drapeau un peu partout et imposé son pouvoir à de multiples peuples. L’idée de voir cet empire secoué et remis en cause n’est pas surprenante de la part d’un auteur qui avait aussi des engagements politiques à gauche.
Et le moins que l’on puisse dire, c’est que ce roman n’hésite à écraser sans soucis tout ce que le monde victorien utilise habituellement pour imposer ses vues. Ses armes ne font pas le poids face à la technologie dont disposent les martiens et sa flotte, orgueil national, n’est que de peu d’utilité face à un adversaire qui est arrivé directement sur le sol national depuis l’espace.
Les descriptions de cette invasion sont saisissantes. Les humains, dont le narrateur, ne peuvent que tenter de fuir et d’esquiver ces terribles machines venues d’un autre monde. On sent le désarroi face à une catastrophe qui semble aussi imparable qu’un tremblement de terre. Le narrateur n’est clairement pas là pour briller héroïquement. Il en est incapable et force est d’admettre qu’on ne fera pas mieux à sa place, les martiens semblent inarrêtable, tels la marée qui monte.
Aux deux-tiers de l’ouvrage, le récit change légèrement. Les envahisseurs ont fermement pris le contrôle de la zone où se trouve le narrateur et ont commencé à œuvrer à changer cette planète pour l’adapter à leurs conditions de vie. On suit donc la survie de ce narrateur, dans un environnement en train de lui devenir étranger. Et là aussi, l’auteur se débrouille bien dans la peinture de cette Terre martienne.
Le salut final de l’espèce humaine repose sur retournement de situation qui est maintenant bien connu : les martiens ne sont pas immunisés contre les microbes terriens, ce qui leur est fatal. On a là une sorte d’inversion par rapport à ce qu’il s’est passé lors de la conquête des Amériques par les conquistadors : les germes pathogènes ont été apportés par les envahisseurs et ont décimé les autochtones. Je trouve qu’il y a aussi une forme de leçon que donne peut-être l’auteur, si l’on calque les martiens du récit sur les britanniques de la réalité : la puissance expansionniste et technologiquement dominante peut finir vaincu. Je ne peux m’empêcher d’y voir le même genre de calque que celui qu’utilisa Platon dans son mythe de l’Atlantide : mettre en scène la puissance que l’on dénonce sous un autre nom.
Le texte de Wells a maintenant plus d’un siècle et on peut ressentir un certain décalage dans la façon de présenter les choses et dans le monde qu’il décrit. Cependant, cela ne m’a pas gêné à la lecture. L’idée que des martiens puissent quitter la planète rouge et nous envahir peut sembler aujourd’hui complètement désuète et même un peu idiote. Cependant, dans son époque le récit me semble au contraire assez sérieux. A la fin du 19e siècle, l’astronomie permet encore de croire en la possibilité d’une vie intelligente dans le reste du système solaire et certains observateurs de l’époque s’étaient convaincus de l’existence de canaux sur Mars, donc de la preuve de réalisations artificielles. Bref, l’auteur n’était pas en décalage avec son époque et ce roman peut tout à fait passer pour l’un des premiers récits de science-fiction sérieuse.
Ce roman détient un record personnel. On me l’a offert pendant mon adolescence, mais ma tentative de lecture à l’époque n’avait pas dépassé quelques pages, alors que j’avais lu sans aucun soucis La machine à explorer le temps et L’homme invisible, du même auteur. C’est une trentaine d’années après son acquisition que j’ai finalement lu ce récit. Et je ne regrette pas de m’y être plongé, même plus d’un siècle après sa parution et après avoir lu des centaines d’autres ouvrages de SF. C’est un classique fondateur qui mérite qu’on lui donne encore aujourd’hui sa chance.
La guerre des mondes (The War of the Worlds)
de H. G. Wells
traduit par Henry D. Davray