Il y a une bonne dizaine d’années, j’ai lu une intéressante histoire de la CIA, Des cendres en héritage de Tim Weiner. Un ouvrage plus récent sur le sujet étant sorti il y a quelques temps, j’ai décidé de voir ce que l’on proposait de nouveau sur le sujet.
Le livre ne porte pas tout à fait bien son nom en français, puisque ce n’est pas exactement une histoire de la CIA. Le titre original est The Ghosts of Langley, ce que l’on pourrait traduire par Les fantômes de Langley (l’endroit où se trouve la CIA). Et c’est fameux fantômes vont revenir régulièrement dans l’ouvrage puisque c’est sûr eux qu’est centré le propos de l’auteur. Il ne s’agit donc pas tant d’une histoire de la CIA en tant qu’institution, mais une histoire des « fantômes » qui la hantent.
Prados propose donc de centrer son propos sur le portrait de différents personnages ayant marqué l’institution et des échecs qu’ils représentent, d’où les fantômes. Ceci après avoir au préalable exposé les problèmes qui sont apparu au grand jour avec les problèmes de prisons secrètes et de tortures après le 11 septembre. La galerie des portraits va se présenter dans un sens plus ou moins chronologique, avec naturellement un certain nombre de retour en arrière puisque les carrières de tous ses personnages se sont plus ou moins superposées.
Ce choix fait qu’il va y avoir des trous dans l’histoire de l’Agence. Ce qui correspond bien au choix de l’auteur et à son titre original, mais pas à celui proposé en français. Ce qui est bien dommage, le livre devenant un peu trompeur chez nous. Ainsi, je m’attendais à voir développé des affaires comme celle concernant Aldrich Ames, peut-être le pire traitre de l’institution, ou la paranoïa maladive de James Angleton qui fit des ravages en voyant des agents doubles partout. Deux sujets qui sont très intéressants mais pas vraiment couverts par l’ouvrage.
Une des choses qui se manifeste à la lecture de cet ouvrage, c’est le sentiment d’une institution hors de contrôle. C’est en partie la thèse de l’auteur, qui la présente dès le début du livre, et les nombreux exemples qu’il propose vont clairement dans ce sens. On a parfois l’impression que la CIA a passé autant, voire plus, à lutter contre les institutions censées la surveiller qu’à sa mission première : le renseignement. Les péripéties judiciaires et légales sont par moment d’une complexité byzantine. Et si les actions pré-11 septembre de la CIA posent clairement de nombreux problèmes en terme de contrôle et ont parfois atteint le domaine public, notamment sous Reagan avec l’affaire Iran-Contra, c’est vraiment l’après-11 septembre qui dévoile au grand jour l’absence totale de respect des institutions et valeurs du pays. On voit que le sénat tente à plusieurs reprises de reprendre les choses en main, mais sans jamais vraiment y arriver. De plus, les responsables sont rarement punis, tout au plus quelques fusibles sautent et pas toujours des gens réellement concernés par les problèmes soulevés.
L’auteur consacre un passage à la féminisation de l’agence, où l’on voit bien que, comme d’autres, elle parti de loin mais réussi à faire quelques progrès. Avec toutefois pas mal de limites et on voit rapidement qu’il reste toujours de profondes inégalités, certaines femmes étant vivement sanctionnées pour des broutilles quand des hommes s’en sortent sans problèmes pour des faits autrement plus graves.
J’ai beaucoup apprécié la construction de cet ouvrage, avec son enchaînement de portraits qui sont autant de fantômes hantant les couloirs de Langley. L’auteur est bien documenté et particulièrement précis sur toute la période post-11 septembre. On ressort de cette lecture clairement convaincu qu’il y a quelque chose de pourri au royaume de Danemark, et que le pouvoir politique semble incapable de reprendre en main cette agence. Ce qui n’est pas franchement rassurant.
Histoire de la CIA (The Ghosts of Langley)
de John Prados
traduit par Antoine Bourguilleau
édition Perrin, collection Tempus
685 pages, plus bibliographie, notes et index (poche)