J’ai découvert Antony Beevor lorsque j’ai lu son ouvrage consacré à la Bataille des Ardennes. Et comme ça c’était très bien passé, j’étais un peu curieux de gouter au reste de sa production. Je commence donc par son Stalingrad.
Stalingrad est sans conteste l’une des batailles les plus connues de la Seconde guerre mondiale. Généralement considéré comme l’un des points tournants (à côté de El-Alamein et Midway ou Guadalcanal), elle a donné lieu à toute une production d’ouvrages historiques, sans parler de la fiction qui s’y est collé à toutes les sauces, en commençant par le cinéma. Les néophytes ont probablement en tête l’image d’un Verdun dans la neige et la glace, ce qui sur certains plans n’est pas forcément très éloigné de la réalité… même si c’est beaucoup plus compliqué que cela. En tout cas, il vaut probablement mieux essayer d’oublier ce que la fiction vend sur le sujet, à commencer par le film de Jean-Jacques Annaud avec Jude Law, un long métrage bourré de clichés et d’inepties. Bref, voyons un peu comment Beevor présente tout ça.
L’auteur démarre avec un résumé des un an et demi qui précèdent le début de la bataille. La préparation de l’invasion de l’URSS par l’Allemagne, puis le déclenchement de l’opération Barbarossa dont on survole le déroulement jusqu’à l’échec final devant Moscou. Une fois l’hiver 1941-1942 terminé, on parcourt rapidement la reprise des offensives allemandes avec le plan Bleu. C’est alors que Stalingrad arrive dans le récit.
Beevor explique assez bien les errances stratégiques d’un Hitler qui va redessiner plusieurs fois les contours du plan Bleu. Des variations qui vont se voir avec les mouvements des armées, notamment la Quatrième armée blindée dont la position dans le disposition allemand va changer au fur et à mesure que les opérations avancent. En face, les soviétiques sont bien incapables d’endiguer le flot mais ne commettent déjà plus les grosses bévues de l’année 1941. S’en est fini des encerclements géants et de la capture de frontoviki par centaines de milliers.
On sent que les plans dérapent vraiment au moment où la décision est prise de prendre d’assaut Stalingrad plutôt que de la contourner. Beevor décrit bien la taille et la composition de cette ville qui s’étire sur plusieurs dizaines de kilomètres le long de la Volga, le plus grand fleuve d’Europe. C’est là que la Wehrmacht s’enlise et que le cauchemar commence.
L’auteur présente bien les opérations dans et autour de la ville. Le découpage en partie et chapitre colle assez bien aux grandes phases de la bataille. Il parsème régulièrement la description des événements d’extraits de journaux, livres ou entretiens de témoins de ces derniers. Ceci permet de bien plonger dans l’enfer que fut cette bataille. Une partie notable de ces extraits semblent provenir d’entretiens menés directement par l’auteur avec des survivant(e)s de la bataille. Un apport très appréciable.
Si les opérations militaires sont naturellement décrites, on voit aussi les différents mouvements au sein des états-majors, les tergiversations du côté allemand, un Staline qui peine à ronger son frein lors de l’organisation de l’opération Uranus, un Hitler à qui ses subordonnés ont de plus en plus de mal à faire comprendre la réalité de la situation, etc.
L’auteur parle aussi régulièrement des nombreux crimes de guerres : civils dépouillés, prisonniers abattus, blessés abandonnés, etc. Le front de l’Est de façon générale a été un théâtre d’une grande noirceur à ce niveau et la bataille de Stalingrad n’y fait pas défaut. Au point qu’il paraît assez incroyable que des civils aient réussi à survivre au milieu d’un enfer pareil. Beevor explique en partie ces crimes, notamment l’incapacité pour les soviétiques de s’occuper correctement d’une masse de prisonniers allemands alors qu’ils peinent à nourrir leurs troupes et que les civils sont pratiquement laissés à l’abandon. Expliquer n’est pas excuser, mais ça reste un élément important pour comprendre le passé.
L’auteur parle aussi un peu des suites de la bataille, principalement l’exploitation de son issue par la propagande des deux camps et le parcours des prisonniers allemands, dont les derniers ne reverront l’Allemagne qu’après douze ans de captivité.
Si l’ouvrage compte quelques cartes, je trouve ces dernières assez peu détaillées. Elles auraient clairement mérité d’être plus claires et éventuellement un peu plus nombreuses. Par contre, le cahier photo central est bienvenu et illustre à merveille le propos. Enfin, je serais aussi un peu critique sur ce que l’auteur dit de l’attaque du saillant de Rjev – l’opération Mars. Beevor considère clairement cette opération comme une diversion permettant d’améliorer les chances de succès d’Uranus (l’encerclement des forces allemandes à Stalingrad). Personnellement, je penche nettement en faveur de l’hypothèse défendue par d’autres historiens : Mars n’était pas une diversion mais une offensive parallèle par laquelle Staline espérait saigner le groupe d’armées Centre et réduire le saillant de Rjev. C’est son échec qui a ensuite conduit les soviétiques à réécrire l’histoire. Mais tout ça reste globalement un détail par rapport à la bataille de Stalingrad elle-même.
J’ai l’ouvrage bien rapidement, tant son écriture est fluide et pousse à ne pas s’arrêter pour connaître la suite des événements… quand bien même je connais déjà pas mal le sujet. Beevor détaille assez bien son sujet, on a même plusieurs passages qui évoquent la présence des femmes dans la bataille. Et je pense que c’est un ouvrage qui parfaitement accessible aux néophytes qui voudrait en apprendre un peu, voire beaucoup, sur cet affrontement quasi-mythique, sans plonger dans des ouvrages pour passionnés d’histoire militaire.
Stalingrad (Stalingrad)
d’Antony Beevor
traduit par Jean Bourdier
éditions Livre de poche
576 pages, plus annexes et bibliographie (poche)
Tu y as vu des apports neufs en terme de recherche ou c’est une « simple » compilation et chronologie des évènements ?
L’ouvrage date de 1998. Il est donc antérieur à celui de Jean Lopez par exemple. Mais par rapport a ce qui a été publié avant, il a pu bénéficier de l’ouverture (temporaire) des archives soviétiques post-1991 et l’auteur a aussi pu interviewé un certains nombres d’acteurs (petits et grands) des événements, ce qui enrichi pas mal son récit. Le gros intérêt de l’ouvrage, à mon avis, c’est l’écriture et sa lisibilité, notamment pour les néophytes en histoire.