Comme le calendrier nous amène aujourd’hui au quatre-vingtième anniversaire du débarquement en Normandie. Une bonne occasion de revoir un classique du cinéma sur le sujet : Il faut sauv… ah non, pas celui-là. Je parle du classique qui passait quasi-systématiquement à ce moment à la télé quand j’étais jeune : Le jour le plus long.
5 juin 1944, la seconde guerre mondiale est dans sa cinquième année et depuis bientôt quatre ans, la France est occupée par l’armée allemande. Mais de l’autre côté de la Manche, une armada se prépare à déferler sur les plages de Normandie.
J’ai eu plaisir à revoir ce film, ce que je n’avais pas fait depuis un bon moment. J’ai retrouvé toutes les séquences dont je me souvenais bien, tant je les ai vu dans ma jeunesse : Cota qui fait sortir ses gars d’Omaha Beach, le parachutiste coincé sur l’église, la cornemuse qui accompagne la troupe, Bourvil qui entend « Jean a de longues moustaches », etc. J’avoue qu’il y a un petit côté Madeleine de Proust.
Techniquement et sans surprise, le film a vieilli. Les plans avec des incrustations sont aussi visibles que dans n’importe quel film de l’époque, les effets sont parfois un peu visibles, etc. Mais franchement, vu la façon dont ne vieillissent pas toujours très bien des films récents, où les incrustations numériques sont en fait aussi visibles, je ne trouve pas vraiment matière à me plaindre. D’autant plus que certaines séquences de combat ont droit à jolis plans séquence. En particulier l’assaut sur le casino de Ouistreham. Dans l’ensemble, on voit aussi que c’est un film avec de grands moyens : nombreux figurants, beaucoup de matériel, etc. C’est bien sûr nettement moins violent visuellement que Il faut sauver le soldat Ryan : on est dans un cinéma du début des années 1960, avec des studios qui demandent à ce qu’on y aille mollo sur l’hémoglobine. Et en fonction de ce que l’on veut raconter, ça n’est pas forcément un mal.
Le film a une très large distribution. On est dans la tradition des films de guerre chorals, avec tant de personnages que chacun n’aura pas droit à un grand développement. Si une bonne partie des interprètes ne sont plus très connus aujourd’hui, on y trouve quand même John Wayne ou Bourvil. Il est aussi amusant d’y voir des gens qui à l’époque étaient encore au début de leur carrière et n’avaient pas la renommée qu’ils auront plus tard. On y croise notamment un Sean Connery dont la première action en arrivant sur les plages de Normandie est de tomber à l’eau. Et un Gert Fröbe, qui joue un sergent Café au lait bien moins intimidant que le Goldfinger qu’il jouera deux ans plus tard.
Le film est assez didactique : une partie des personnages sont présentés par un sous-titre, les lieux et les horaires ont droit de même. Les premières scènes ont aussi droit à leur lot de dialogue d’exposition pour transmettre des informations aux spectateurices. Les personnages énoncent souvent des choses que leurs interlocuteurs connaissent déjà, mais dans la plupart des cas je trouve que c’est fait avec assez d’a propos et de justification narrative (agacement, etc.) pour que ça passe bien.
Le film est un bon exemple de ce que la fiction peut imposer comme idée sur la réalité historique. Si une partie de ce que dit le film est exact, il contient aussi des anecdotes douteuses, voire fausses. Des scènes qui ne correspondent pas à la réalité, etc. Et cette œuvre a façonné la vision du grand public sur le débarquement pendant des générations. Une version de l’histoire dans laquelle les allemands, à une ou deux Cassandre près, sont totalement surpris par l’irruption de soldats sur les plages du Cotentin. Ce qui n’est pas tout à fait le cas dans la réalité.
C’est aussi le produit d’une époque, la Guerre Froide, pendant laquelle on a joyeusement ripoliné la Wehrmacht et sa réputation. Pas de référence aux atrocités commises par les troupes allemandes. On est à une époque où il faut brosser un peu les allemands dans le sens du poil. L’époque se voit aussi par le fait que ce débarquement semble être la grande opération qui va permettre de libérer enfin l’Europe du joug nazi. Dans les faits, ça n’est qu’une composante parmi d’autres, à commencer par l’offensive Bagration de l’Armée Rouge qui démarrera deux semaines plus tard, anéantira le groupe d’armées Centre et fera reculer la ligne de front de plusieurs centaines de kilomètres. Le film accorde aussi un poids assez écrasant aux américains dans ce débarquement. Certes, les britanno-canadiens sont présents, avec leurs petits morceaux de bravoure, mais ça reste une portion congrue pour une armée qui représentait la majorité des effectifs débarqués. A l’inverse, le tout petit commando Kieffer (177 hommes sur les 150.000 débarqués/parachutés ce jour-là) a droit à son moment de gloire. Bref, comme toute représentation de l’histoire, celle-ci a ses lacunes et ses biais.
J’ai eu une agréable surprise avec le revisionnage. Jusqu’ici, je ne connaissais le film que dans sa version doublée en français, avec les inévitables accents allemands à couper au couteau qui infestaient le cinéma à l’époque. Profitant de mon dvd, j’ai cette fois tenter la version originale. Et ce fut très plaisant. Non seulement parce que les différences sonores entre britanniques et américains me sont toujours agréables mais aussi parce qu’en fait tous les personnages parlent dans leur langue. On a donc toujours la voix de Bourvil et du côté allemand la distribution germanophone est plus intéressante que les accents évoqués plus haut.
Au final, j’ai bien apprécié ce nouveau visionnage du film. J’ai un regard plus critique sur l’historicité du truc que quand j’étais ado, ce qui est plutôt rassurant. Mais je trouve que le film se défend encore assez bien comme objet cinématographique. Et j’étais très agréablement surpris par la version originale, non seulement pour les accents anglophones, mais aussi pour la partie germanophone, où j’arrivais à comprendre certaines phrases sans les sous-titres. Le film ne disparaitra pas de ma filmothèque et je le reverrai probablement à l’occasion d’un autre 6 juin.
Le jour le plus long (The Longest Day)
un film produit par Darryl F. Zanuck
réalisé par Ken Annakin, Andrew Marton, Bernhard Wicki & Elmo Williams
avec Henry Fonda, John Wayne, Robert Mitchum, Bourvil, Sean Connery, Richard Burton, Rod Steiger et bien d’autres
2h51