J’ai deux principales sources pour trouver des ouvrages historiques à lire. D’une part, les critiques de nouvelles publications faites dans des revues historiques, comme L’histoire ou Histoire & Civilisations. D’autre part, je parcours de temps en temps les parutions à venir chez divers éditeurs historiques. C’est ainsi que j’ai repéré l’arrivé en poche d’un ouvrage consacré à la fin de la première guerre mondiale du côté allemand. Après son acquisition, le livre a dormi un moment dans ma pile-à-lire. Et finalement, son tour est venu.
On a longtemps accusé le traité de Versailles de 1919 d’être la cause de la montée du nazisme en Allemagne, puis du déclenchement de la seconde guerre mondiale. Gerd Krumeich a décidé de s’intéresser à la façon dont se termine la Grande Guerre du côté allemand et de l’impact de la résolution du conflit sur la suite des événements. Et le sujet est très intéressant, d’autant plus que j’ai l’impression que cette partie de l’histoire n’est pas très connue du côté français.
L’auteur fait le portrait d’une Allemagne en guerre et notamment de la relation entre le front et ses combattants d’un côté et l’arrière et les civils de l’autre. Deux milieux qui sont en contact quasi-permanent par un flux de courrier phénoménal, mais qui se déconnectent aussi petit à petit. On voit comment le contrôle de l’information par l’état allemand, et surtout son appareil militaire dont le rôle est bien plus important qu’en France, contribue à cette déconnexion. La guerre devient un objet lointain, dont la nature apparait floue aux civils. Et les méthodes de propagande pour essayer de maintenir un lien, en incitant l’arrière à soutenir par de constants efforts les soldats au front ne sont pas très fructueuses. Le parallèle avec les choix britanniques et français est intéressant. Là où ces deux pays font le choix d’une communication qui n’occulte pas totalement la violence et la difficulté de la vie au front, le reich allemand aseptise son propos au point de perdre complètement en crédibilité. Notons en passant que la bibliographie en fin d’ouvrage compte nombre d’ouvrages francophones et anglophones.
La gestion de la communication sur l’évolution du front est aussi un élément important. Le commandement militaire arrose le pays d’annonce de victoire au moindre événement. Et surtout, son manque d’honnêteté vis-à-vis du gouvernement civil crée un décalage entre la réalité de la situation et la perception que ce dernier en a. Sur ce sujet, Hindenburg et Ludendorff ne sont clairement pas épargné. Et quand tout semble perdu, on voit clairement ces deux derniers refiler la patate chaude au gouvernement civil pour ensuite mieux l’accuser d’être responsable de la défaite finale.
La mécanique qui mène à la révolution et à la chute du Kaiser est très instructive. Et l’incompréhension du nouveau gouvernement sur les intentions des alliés est manifeste. Je ne peux pas m’empêcher de trouver incroyablement naïf d’avoir cru que jouer la carte « c’était le régime d’avant qui vous a déclaré la guerre, nous on est ‘gentil’ alors on voudrait de meilleurs conditions de paix » pouvait rapporte quoi que ce soit. On mesure bien le décalage entre Berlin d’un côté et Paris et Londres de l’autre. Quatre ans de dévastation sur une partie de la France et de la Belgique ne pouvait pas donner lieu à un simple « ok, on va être cool » en retour.
Le problème de perception est aussi visible dans toute la société allemande : comment une guerre pourrait-elle être perdu quand l’ennemi n’a jamais mis un pied sur le sol nationale ? Krumeich montre la façon dont les différents courants politiques de l’immédiat après-guerre s’adaptent à la situation et pour certains tentent d’en profiter. La légende du « coup de poignard dans le dos » apparait très vite. L’un des points intéressants est de voir qu’il n’y a pas une mais plusieurs versions de cette légende, en fonction de qui la propage. Et sans la valider, l’auteur énonce tout de même le fait qu’elle s’appuie sur certains éléments réalistes.
Le traitement mémoriel du conflit en Allemagne, et la comparaison avec les autres pays, est très intéressante. On y voit aussi un fort décalage entre les deux côtés du Rhin. Pareil pour la réception par la société d’un flot de gueules cassées. La condition de vainqueur / vaincu semble avoir un fort impact. L’idée qu’un meilleur traitement des vétérans et de l’aspect mémoriel par la république de Weimar aurait peut-être permis à cette dernière de survivre est intéressante.
Bref, j’ai bien apprécié ce livre. Ma connaissance de la fin du conflit côté allemand et son impact sur la suite de l’histoire était assez fragmentaire, sans être nulle. J’ai trouvé beaucoup de choses intéressantes, notamment sur les différences de traitement de la réalité du conflit entre les deux côtés, ainsi que la gestion de la question mémorielle et des vétérans. L’édition française dispose d’une préface spécifique de l’auteur, qui a notamment travaillé à l’Historial de Péronne. Le fait que son livre et son propos devienne accessible aux lecteurices français semble lui tenir à cœur. Et je suis effectivement content d’y avoir eu accès.
L’impensable défaite
de Gerd Krumeich
traduit par Josie Mély
éditions Alpha
398 pages, dont notes et bibliographie (poche)
disponible en numérique chez 7switch