Civilizations, de Laurent Binet

Il y a plus d’une dizaine d’années, j’ai lu un livre au titre un peu bizarre : HHhH de Laurent Binet. J’avais trouvé ça assez intéressant. Il y a quelques temps, j’ai mis la main sur un autre ouvrage du même auteur, Civilizations, qui rentre dans le champ de la SF puisqu’il s’agit d’une uchronie. Et j’ai fini par le sortir de ma PAL et le lire.

Au tournant de l’an mille, des vikings traversent la mer séparant le Groenland de l’Amérique du Nord et établissent une colonie. Cette dernière ne durera pas et sombrera dans l’oublie de l’histoire pendant près d’un millénaire. Mais dans cette trame historique, les choix faits par certains membres de cette expédition vont avoir une influence radicale quelques siècles plus tard.

Le récit se compose de quatre partie. La première concerne une saga racontant l’expédition viking. La deuxième est le journal de Christophe Colomb lors de sa traversée de l’Atlantique à la recherche de la Chine. La troisième, la plus longue, raconte la vie d’Atahualpa, empereur inca. La dernière évoque la vie de Cervantès. La forme du récit est différente dans chaque partie.

Sur le fond, je trouve l’idée intéressante. Le point de divergence n’est pas énorme et j’ai apprécié de voir que les répercussions sur le reste du monde ne se manifestent pas avant plusieurs siècles. Il est aussi amusant de voir l’auteur réutiliser certains événements historiques en les adaptant au nouveau contexte. Ça donne parfois des choses assez sympathiques à lire. Cependant, je suis toujours un peu chagriné lorsqu’une uchronie essaie de reproduire certaines situations alors qu’elles n’ont pas de raison d’être. Ainsi, on verra une grand bataille navale entre deux coalitions à Lépante. Certes, l’auteur propose deux coalitions différentes de celles qui s’affrontèrent réellement lors de cette bataille, mais pour moi il n’y a aucune raison qu’une bataille similaire en ampleur se produise au même endroit et au même moment. Les équilibres géopolitiques sont largement différents de ceux que nous avons connus.

J’ai aussi un peu de mal à suspendre mon incrédulité face à certains événements. Ainsi, voir des gens arriver à traverser l’Atlantique sur des bateaux qu’ils n’ont jamais appris à manœuvrer est tout de même un poil improbable. Tout comme d’en voir d’autres capables de construire assez rapidement des navires du même genre sans aucune culture professionnelle de la construction navale. Il ne suffit pas d’avoir un objet en main pour être capable de le reproduire. Surtout si sa production demande des compétences techniques et un savoir-faire pointu.

Sur la forme, la diversité des quatre récits proposés rend la lecture plaisante. La plume est très lisible et j’ai lu tout ça assez rapidement. Néanmoins, le choix fait des différents types de récits a, pour moi, un gros défaut : on est plus dans un récit historique que dans un récit de fiction. Les personnages ne sont pas ou très peu développés. La majeure partie des choses sont écrites vues de l’extérieur, par un commentateur qui rapporte des événements. Certes, le journal de Colomb donne une petite vision du personnage par l’intérieur, mais ça n’est pas très développé. Et la partie finale, sur Cervantès, se rapproche plus d’un récit avec protagoniste. Mais ces deux parties n’explorent pas beaucoup plus leurs personnages que ça et sont assez limitées en volume.

Bref, Civilizations part d’un point de départ original et intéressant. L’évolution alternative amène des conséquences intéressantes et certaines choses font plaisir à voir. Cependant, la forme proposée me semble plus proche d’un essai que d’une œuvre de fiction. On dirait que l’auteur s’est contenté de nous présenter son travail de worldbuilding. Cela ferait parfaitement l’affaire dans un supplément rôlistique. C’est moins convaincant en tant que roman. Comme si l’auteur avait oublié qu’un récit de fiction raconte une histoire et non pas l’Histoire.

Civilizations
de Laurent Binet
éditions Livre de poche
380 pages (poche)

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2 réflexions sur « Civilizations, de Laurent Binet »

  1. Oui c’est vrai l’auteur réecrit l’Histoire,même si on a l’impression qu’il joue avec elle.
    J’avais bien aimé Le personnage de Atahualpa,qui se fait l’allié des populations brimées ,plein d’humanisme.
    Oui,il y des hypothèses qui sont moins crédibles dans le roman.
    Dans l’ensemble c’est agréable à lire.

    1. La forme du récit fait que pour moi on ne rentre jamais dans la tête d’Atahualpa, ni d’aucun autre protagoniste de son récit. Du coup, j’ai du mal à le considérer, lui ou les autres d’ailleurs, comme un personnage. 🙂

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