L’un des groupes d’espions les plus célèbres est incontestablement celui des Cinq de Cambridge : cinq anciens étudiants britanniques qui travaillèrent pour Moscou pendant de nombreuses années et qui se connaissaient tous. C’est sur ce groupe que revient Rémi Kauffer, grand spécialiste de l’histoire de l’espionnage.
La narration commence par la fin, avec un Kim Philby exilé à Moscou qui végète entre sa dernière compagne et l’alcool. Puis l’auteur rembobine un bon coup pour revenir avant l’arrivé de ce dernier, et de ses camarades, à Cambridge.
Kauffer crédite Maxime Litvinov, alors ministre des affaires étrangères soviétiques, de l’idée d’aller recruter un réseau d’agent au sein de ce milieu étudiant. Partant du principe que la grande majorité des hauts fonctionnaires et dirigeants britanniques passent par Oxford et Cambridge, il en avait déduit qu’il s’agissait là du meilleur terrain pour faire un investissement à long terme. Et l’avenir lui donna largement raison.
L’auteur décrit bien le milieu dans lequel évolue les cinq futurs espions. S’ils ont des profils et des origines familiales distinctes, ils se retrouvent tous à fréquenter un milieu étudiant où les idées de gauche sont relativement tolérées au début des années 1930. C’est donc là que les soviétiques lancent leurs lignes en espérant décrocher le gros lot. On voit comment le réseau va alors se former progressivement, en partant de la première recrue : Kim Philby.
Le récit est bien agencé. On progresse de façon plus ou moins chronologique, en suivant en parallèle la vie et de le destin des cinq espions. Et il aurait été difficile de faire autrement, tant une partie de l’existence de certains d’entre eux est forte intriquée. Au point que deux feront défection en même temps. L’auteur adopte parfois un style qui rentre presque dans la tête de ses personnages. C’est probablement un peu limite en terme de rigueur historique, mais il ne va jamais trop loin à ce niveau et les différents acteurs de ce drame historique ont laissé quantité de témoignage, de mémoire, etc. qui permettent de reconstituer des pans entiers de leur existence.
Et on n’en apprendra pas mal sur la vie de ces cinq espions, notamment leur vie sentimentale, familiale, voire sexuelle. On voit bien les différences de style entre chacun, que ce soit dans leur évolution professionnelle ou leur stratégie de couverture pour essayer de passer entre les mailles du filet. Et certains manœuvreront particulièrement bien dans ce domaine. A commencer par Philby, sur lequel de graves soupçons pèseront à partir de 1951 après la défection de Burgess et MacLean. Pourtant, il faudra attendre douze ans et le passage à l’Ouest d’un soviétique pour que l’étau se resserre enfin autour de l’espion et qu’il parte à son tour de l’autre côté du Rideau de fer. Kauffer montre bien à quel point tout une partie de l’espionnage et du contre-espionnage britannique s’est montré défaillant, notamment parce que Philby faisait partie de « l’élite ». Litvinov n’avait probablement pas espéré que son flair soit aussi pertinent. L’auteur n’épargne pas non plus James Angleton, véritable dindon de la farce qui va alors se transformer en paranoïaque fini et voir des taupes partout aux États-Unis.
L’un des points que j’ai beaucoup apprécié dans l’ouvrage, c’est le soin que prend l’auteur à présenter chaque personnage qui intervient dans l’histoire. On fait donc de multiples retours en arrière qui permettent de savoir qui sont les hommes et les femmes qui apparaissent dans le récit et on comprend bien le pourquoi de leur présence. L’ouvrage se termine un petit résumé du destin de chacun des protagonistes, qui permet de voir que certains s’en sont franchement très bien sortis.
J’ai donc beaucoup apprécié ce livre. L’auteur est un grand connaisseur du sujet et sait bien transmettre son savoir. L’écriture rend le contenu très accessible et agréable à lire. Et si parfois ça semble improbable, ce n’est que la réalité qui dépasse la fiction.
Les espions de Cambridge
de Rémi Kauffer
éditions Perrin
350 pages (format moyen)
disponible en numérique chez 7switch