La chute d’un empire : l’indépendance de l’Amérique espagnole, de Gonzague Espinosa-Dassonneville

J’ai parlé ici d’un ouvrage qui racontait la conquête des Amériques par les conquistadors, pour le compte de la couronne d’Espagne. Voyons maintenant un peu l’autre versant, celui de l’indépendance de ces nations.

Le propos de l’auteur peut sembler particulièrement ambitieux : il ne s’agit pas de raconter la lutte pour l’indépendance d’une seule nation puisque ce n’est pas moins de quinze pays qui vont naître dans cette affaire. Mais tout étant mêlé, il serait assez incommode de ne parler que d’un seul. Néanmoins, cela ne sera pas sans rendre les choses parfois un petit peu absconses. Heureusement, l’ouvrage dispose de plusieurs cartes qui permettront de s’y retrouver régulièrement.

L’un des propos de l’auteur est de démonter un peu les romans nationaux de ces différents pays et de montrer le fait que tout ça n’était pas inéluctable, en tout cas pas à l’époque. Grosso-modo, la conquête de cette indépendance s’est faite en deux temps : pendant l’ère napoléonienne, puis après.

En 1808, Napoléon Bonaparte profite d’une querelle dynastique en Espagne pour prendre le contrôle du pays. Cette chute des Bourbons espagnols va avoir d’importantes répercussions de l’autre côté de l’Atlantique. Un gouvernement légitimiste espagnol tente de se mettre en place dans la péninsule, mais il est reconnu et accepté de façon assez diverse en Amérique.

L’auteur montre bien que si une première vague de mouvements indépendantistes secoue alors la plupart des colonies américaines, la recherche d’indépendance va être assez limitée en fin de compte. Ce sont surtout des affrontements pour améliorer l’autonomie de ces contrées. L’expression de revendications qui couvent depuis longtemps dans une société qui se divise non seulement entre indiens, esclaves et citoyens espagnols mais aussi entre espagnols de la péninsule européenne et espagnols d’Amérique. Ces derniers sont à la recherche d’une véritable représentativité en Europe. Une revendication qui va bénéficier d’une certaine reconnaissance, au contraire de celle des colons britanniques américains quelques décennies auparavant.

On a donc une sorte de joyeux bazar géopolitique, avec en plus des rivalités entre certaines régions des Amériques, une information qui se déplace à la vitesse de la marine à voile et quelques partisans de la France qui tentent d’en placer une à l’occasion.

Cette première phase se termine avec l’éviction définitive des français d’Espagne et le retour des Bourbons aux affaires. Et pour l’auteur, c’est le moment où le destin bascule vraiment. Car si jusqu’ici les Amériques se battaient pour faire reconnaître leurs droits, il n’y avait dans l’ensemble pas de véritable remise en question de l’appartenance à un empire espagnol avec un roi à sa tête. C’est l’incompréhension de cette royauté et la volonté de reprendre les affaires en main et d’imposer une forme de retour à un absolutisme qui met véritablement le feu aux poudres. La période napoléonienne a permis aux colonies de gouter à une certaine liberté d’action et une représentativité qu’on ne veut plus abandonner.

Commencent alors vraiment les guerres pour l’indépendance des différents territoires. L’auteur montre là aussi la diversité de la situation et des événements en fonction des colonies concernées. On va voir revenir les rivalités locales. Et c’est une sacrée alternance de réussite et de ratages pour les indépendantistes. Si la couronne espagnole sort complètement essorée des conflits napoléoniens et n’a donc plus les moyens de reprendre véritablement le contrôle de ses colonies, cela ne l’empêche pas de s’acharner à essayer. Du côté des indépendantistes, ça n’est pas toujours la joie non plus. Non seulement il n’est pas simple d’arriver à motiver des gens qui sortent de plusieurs années d’affrontement à retourner au charbon, mais les divergences parfois importantes entre les « libérateurs » sabotent régulièrement leurs chances. On voit notamment que le mythique Bolivar encaisse au moins autant d’échec qu’il n’a de réussite et ses ambitions personnelles vont régulièrement le pousser à se transformer en oppresseur.

Bref, le sujet traité est vraiment riche et complexe. Et Espinosa-Dassonneville parvient à rendre tout ça intelligible. On a quelques explications sur des points de vocabulaire importants, notamment un concept un peu particulier d’obéissance-désobéissance dont il était déjà question dans l’ouvrage sur les conquistadors. La diversité de la société de ces colonies et son importance dans les événements est bien présentée. Et si parfois je me suis senti un peu perdu, la faute n’en revenait pas à l’auteur mais à la situation historique qui prend par moment une allure d’inextricable écheveau. A l’impossible, nul n’est tenu, mais Espinosa-Dassonneville livre tout de même un travail impressionnant qui m’a permis d’en apprendre et comprendre beaucoup. Je ne peux pas demander plus.

La chute d’un empire : l’indépendance de l’Amérique espagnole
de Gonzague Espinosa-Dassonneville
éditions Passés Composés
380 pages, dont notes, bibliographie et index (grand format)

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