J’ai déjà parlé ici un peu d’Antony Beevor, par ses ouvrages sur la bataille des Ardennes ou celle de Stalingrad, ainsi que du débarquement en Normandie, avec le film Le jour le plus long et l’ouvrage de Nicolas Aubin sur les légendes qui entourent cet événement. Cette fois, je vais pouvoir parler des deux à la fois.
L’ouvrage démarre quelques jours avant le déclenchement de Débarquement et se termine à la libération de Paris. L’auteur utilise la même méthode que dans ses autres livres : un récit documenté et agrémenté de nombreuses anecdotes et témoignages. Son écriture est fluide et rend la lecture agréable et assez rapide.
Beevor ne s’intéresse que peu à la montagne de préparatifs qui précède le 6 juin 1944. Ce n’est pas forcément un défaut, vu le volume de l’ouvrage et la masse d’information qu’il contient. D’autant plus que ce sujet est suffisamment riche pour faire l’objet de nombreux livres à lui tout seul. Je trouve tout de même très intéressant de voir l’auteur démarrer et plus ou moins terminer son livre sur la météorologie. On retrouve l’essence de la scène de Le jour le plus long où la question météo est posée et James Stagg doit donner son avis sur les prévisions pour les jours à venir. C’est l’élément clé qui va permettre ou pas de déclencher l’opération. Et un mauvais pronostic peut avoir des conséquences catastrophiques.
Les opérations sont assez détaillées. Pour le Jour J lui-même, l’auteur parle de la situation de chacune des cinq plages, plus la Pointe du Hoc et bien sûr les parachutistes américains et britanniques. Le panorama s’élargit un peu ensuite, même si l’on reste généralement dans un découpage américain/canado-britannique du front. Ce qui correspond en fait assez bien à la dynamique des opérations. Et dans l’ensemble, on voit que l’initiative est presque toujours du côté alliés, les allemands passent quasiment toute cette campagne dans une incapacité de lancer des contre-offensives sérieuses. Je retrouve là l’un des points assez frappants dans l’ouvrage de Benoît Rondeau.
Ce livre ne fait pas non plus l’impasse sur les nombreux moments où les différents généraux alliés ne s’entendent pas, quand ça n’est pas carrément les piques qui volent dans tous les sens. La Normandie était une zone bien trop étroite pour y caser autant d’égos surdimensionnés au mètre carré. Ceci dit, même une fois que le front s’élargit fortement, on peut voir dans La course au Rhin que le problème reste le même. Et ceci a probablement été préjudiciable à l’avancement des plans alliés à plusieurs reprises. « Heureusement » que dans le camp d’en face ce n’est pas non plus la concorde permanente. A commencer par Hitler qui fourre son nez partout.
Beevor parle aussi régulièrement de la situation des civils normands. C’est un point que j’ai beaucoup apprécié. Le front traine pendant plusieurs semaines sur une petite région française et ceci n’est pas sans effet sur les villes, villages et leurs habitants. Le niveau de destruction est très élevé. Entre les bombardements aériens, l’usage frénétique de l’artillerie, le dégommage de tous les points hauts (notamment clochers) pouvant servir de poste de visée pour l’artillerie, etc. les belligérants rasent une grande quantité de lieux humains. Les civils doivent esquiver comme ils peuvent toute cette destruction. La libération du joug nazi a un prix et il est lourd.
L’auteur revient aussi plus d’une fois sur les exécutions sommaires de prisonniers, que l’on peut observer des deux côtés. Du côté des alliés, ce sont notamment les SS qui en font les frais. De l’autre côté, outre les exécutions de prisonniers militaires, les allemands passent aussi par les armes quantités d’otages de toutes sortes. Et puis il y a les massacres de civils, qui ne se limitent pas au plus connus d’entre eux : Oradour-sur-Glane. Ce dernier est presque l’arbre qui cache la forêt, tant les nazis vont se déchaîner à de multiples reprises sur les civils français.
Beevor parle un peu des troupes, de leur qualité et de leur évolutions. On voit ainsi non seulement les différences entre allemands et alliés, mais aussi les variations dans les deux camps. Du côté de l’Axe, quelques unités très expérimentées sont entourées de divisions de second ordre, d’unités composées de soldats recrutés plus ou moins volontairement à l’est, de jeunes et de vieux que le régime commence aussi à enrôler de plus en plus. Du côté alliés, on trouve aussi de la variété en terme d’expérience. Et même chez les vétérans, il y a de grosses surprises. Les unités endurcies par la guerre dans le désert sont ainsi confrontées à un cadre fort différent. On observe aussi les différences de gestion du personnel entre britanniques et américains. Enfin, l’auteur montre que certaines armées, notamment du côté alliés, apprennent et évoluent. Parfois pas suffisamment vite mais l’innovation et les améliorations, notamment dans l’intégration des nouveaux, se diffusent tout de même.
Si l’auteur utilise de nombreux extraits de témoignages et souvenirs qui permettent de retranscrire l’ambiance de cette campagne, il prend soin de se distancier des interprétations et affirmations des contemporains. En plusieurs occasions, il va chercher dans les sources et travaux historiques pour montrer que la réalité ne correspond pas toujours à ce que certains en racontaient après coup. Un des exemples les plus frappants est celui des destructions de chars revendiquées par les aviateurs alliés. Les enquêtes réalisées plus tard sur le terrain ont bien montré que le niveau de pertes réelles du côté allemand était bien moindre.
Avec ce gros volume, Beevor offre une belle approche du Débarquement et de la bataille de Normandie. L’auteur a une plume qui donne bien vie à tous ces gens, militaires et civils, qui ont connu cette campagne. Les opérations sont assez bien décrites, avec l’aide de quelques cartes. Les aspects développés sont nombreux et variés (logistique, civils, etc.) Voilà qui fait un bon ouvrage d’introduction sur le sujet.
D-Day et la bataille de Normandie (D-Day : The Battle for Normandy)
d’Antony Beevor
traduit par Jean-François Sené, Raymond Clarinard & Isabelle Taudière
éditions Le livre de poche
774 pages, plus notes, glossaire et bibliographie (poche)
Bonjour, si vous aimez les ouvrages historiques, je vous conseille la biographie de Winston Churchill par Andrew Roberts. Une somme de 1200 pages passionnante, avec de nombreux extraits de ses discours, de ses réflexions, de celles de ses proches comme de ses ennemis. Ce n’est pas une hagiographie, l’auteur sachant parfaitement dire quand le grand homme s’est trompé. Cela se lit tout seul tant c’est bien écrit (et formidablement traduit)