N’ayant pas de thème précis en tête cette fois, je suis revenu sur quelques unes de mes lectures récentes, auxquelles j’ai ajouté quelques livres que j’avais listé pour l’émission où l’on accueillait Vincent Monadé, émission à laquelle je n’ai finalement pas pu participer.
– Commençons par remettre une petite couche sur un manga dont j’ai déjà parlé plusieurs fois : Space Brothers,de Chûya Koyama, publié chez Pika. Nous en sommes maintenant à quatorze volumes publiés en français et c’est toujours un plaisir à lire. Les aventures de Mutta et Hibito sont toujours aussi passionnantes et très bien documentées et Koyama continue de bien doser le sérieux et l’humour.
– Continuons avec une série de thriller de sf : la trilogie de la Brèche de Patrick Lee (L’entité 0247, Le pays fantôme et Ciel profond). Dans les années 1970, une expérience scientifique a ouvert une brèche vers un ailleurs, dont émerge des objets aux propriétés extraordinaires… quand on arrive à les identifier. Quelques décennies plus tard, Travis Chase travaille pour l’organisation qui s’occupe de la brèche et ses nombreux « cadeaux ». Ces trois romans proposent autant d’aventures très rythmées et sont un bon divertissement entre deux lectures plus ardues.
– Retour du côté manga, avec la dernière série en date de Tetsuya Tsutsui. J’aime beaucoup ce que produit ce mangaka (Prophecy, Manhole, Duds Hunt…) et c’est donc avec intérêt que je me suis lancé dans Poison City, assez courte comme d’habitude : deux volumes seulement (publié chez Ki-oon, éditeur qui s’occupe directement du travail éditorial avec l’auteur). Et il n’en a pas fallu plus à l’auteur pour proposer à nouveau quelque chose de très intéressant. Nous somme en 2020, à la veille des JO de Tokyo et une nouvelle loi permet de nettoyer la littérature, le manga et les arts de tout ce qui est violent, moralement suspect, etc. bref tout ce qui peut nuire à la promotion de la « coolture » japonaise. Mikio Hibino est un jeune mangaka dont la nouvelle série doit passer sous les fourches caudines de la censure. A travers cette histoire, Tsutsui propose de s’interroger sur la censure et sur ses conséquences sur les artistes. On explore notamment la question de l’autocensure à laquelle un artiste peut finir par se soumettre par crainte de voir son travail refusé. La postface offre une mise en abîme avec l’expérience personnelle de l’auteur en la matière sur l’un de ses titres précédents. En cette époque où j’ai la sensation que la liberté d’expression est menacée, ce titre résonne particulièrement fort.
– Un petit détour par le monde du comics avec Prez, écrit par Mark Russell et dessiné par Ben Caldwell (chez DC Comics). Nous sommes en 2036 et l’élection présidentielle américaine se fait par Twitter. Contre toute attente une ado, Beth Ross, est choisie pour la fonction suprême. Russell écrit un futur qui fait peur, à tendance cyberpunk, où les entreprises ont la mainmise sur les choix politiques et contrôlent (ou tentent de contrôler) l’opinion par l’intermédiaire des médias. Caldwell livre des planches qui fourmillent de détails donnant vie à ce monde futur dont nous ne sommes parfois pas si éloignés. Une satire politique qui évoque parfois un peu Transmetropolitan, avec un regard moins trash que celui de Spider Jerusalem mais pas moins critique, Beth est jeune mais pas naïve. Disponible uniquement en anglais (pour le moment), ce comics compte un volume disponible et un autre qui doit être prépublié en numéro mensuel à l’automne prochain. Tout lien avec l’élection à venir outre-Atlantique au même moment est probablement pure coïncidence.
– Enfin, j’ai récemment relu l’ensemble du travail de Franquin sur Spirou et Fantasio. Une bonne occasion de reparler de ce diptyque génial que forment Z comme Zorglub et L’ombre du Z. J’ai pris beaucoup de plaisir à relire ces deux albums en particulier. Franquin, aidé de Greg au scénario, propose une aventure où la technologie est utilisée à mauvais escient. Zorglub est évidemment la figure du savant fou et incompris dont l’orgueil le pousse dans la mauvaise direction. Et même s’il est aussi ridicule et inutile que dangereux, se prenant régulièrement les pieds dans le tapis, Zorglub représente une menace pas si édulcorée que ça, notamment pour une publication jeunesse de 1959 et 1960. Sa confrontation avec le Comte de Champignac est une belle illustration de ce qu’écrivait Rabelais : Science sans conscience n’est que ruine de l’âme. Tout ça est évidemment illustré avec une profusion de petits détails et de petits délires dont Franquin avait le secret.
Maintenant un petit retour sur la sélection que j’avais préparée pour l’émission avec Vincent Monadé. L’émission m’avait inspiré à propos du livre et de l’écriture.
– Tout d’abord, parlons un peu d’une de mes séries favorites : Thursday Next de Jasper Fforde. Nous sommes dans un monde des années 1980 où le Royaume-Uni est toujours en guerre avec la Russie en Crimée et où la police dispose de plusieurs sections spéciales dédiées à des problèmes particuliers. Thursday Next est une agent des Op Spec 27, la division spécialisée dans les enquêtes littéraires. Et quand un grand criminel vole le manuscrit original de Jane Eyre et menace par le biais de la technologie d’en changer le contenu et par là même celui de tous les exemplaires du livre, c’est naturellement l’équipe de Thursday qui va devoir régler le problème. Voila le fond de L’affaire Jane Eyre, premier volume de la série. Mais Fforde ne s’arrête pas à une simple enquête pour sauver un classique de la littérature britannique. D’une part son livre est bourré de référence à toutes les littératures, grandes comme petites, mais il foisonne aussi de petits détails improbables qui créent une identité propre (et totalement british) à son univers. Passé ce très bon et surprenant premier volume, on pourrait s’attendre à une légère baisse de qualité, voire une dégringolade comme ça arrive parfois dès le second opus. Il n’en est rien et avec Délivrez-moi on découvre que Fforde avait un idée bien plus grande que ce que le premier volume laissait penser. Il s’ouvre alors des portes pour faire tout ce dont il a envie. Cette série est une véritable ode à la lecture et aux livres. Et si je ne pouvais sauver que deux-trois livres, cette série en ferait partie.
– On fait à nouveau un petit détour du côté du comics avec The Unwritten, de Mike Carey et Peter Gross, chez Vertigo. Wilson Taylor est l’auteur à succès d’une saga littéraire comparable à Harry Potter mais il a disparu depuis plusieurs années sans avoir livré le dernier volume de son œuvre. Son fils, Tom Taylor, vit avec l’héritage que représente le personnage homonyme qu’a créé son père : Tommy Taylor. Notre histoire commence lors d’une conférence quand une jeune femme met en avant le fait que Tom Taylor n’a pas de certificat de naissance. Est-il réellement le fils de Tom Taylor ou est-il le personnage sorti des livres ? Avec cette série, Carey et Gross explore la littérature, le lien entre lecteurs et personnages, l’évolution des mythes, etc. On croise évidemment quantité de références, de Kipling à Dickens en passant par le Léviathan de Hobbes, Moby Dick… Les auteurs nous montrent aussi la façon dont les fans et les médias réagissent à cette révélation, les divisions qui s’installent entre lecteurs, etc. L’œuvre est riche de contenu et de références, le graphisme de Gross est parfaitement adapté à l’univers exploré. Je ne sais pas si cette série bénéficiera d’une nouvelle édition française, le précédent éditeur français de Vertigo (Panini) n’en a publié que les tous premiers volumes.
– Je comptais profiter de cette émission pour placer un ouvrage de l’un de mes auteurs favoris : Neal Stephenson. Dans L’âge de diamant l’auteur de Snow Crash nous propose un futur très « sympathique » assez axé autour de la nanotechnologie. Nous somme en Chine, dans un société avec des strates sociales, ceux qui sont en haut et ceux en bas. Une fille du bas reçoit un livre intelligent destiné à une fille d’en haut. Ce livre doit la préparer à sa vie future, sa position sociale, etc. Étant « intelligent » le livre va s’adapter à sa nouvelle lectrice et faire évoluer l’histoire qu’il raconte. Avec ce roman Neal Stephenson explore des thèmes comme les nanotechnologies, les IA, l’évolution des structures sociales, etc. tout en conservant sa capacité à produire quelques scènes surréalistes. L’ouvrage a été récompensé par les prix Hugo et Locus.
– On quitte le champ de la SF et de la fantasy avec Le nom de la rose, d’Umberto Eco. Le contexte historique de l’ouvrage peut tout de même intéresser certains amateurs de fantasy puisqu’il se passe au moyen-âge dans une abbaye d’Italie où a lieu un débat sur la pauvreté du Christ. Mais des morts suspectes vont amener l’ancien inquisiteur Guillaume de Baskerville à faire usage de ses talents. L’ouvrage est très riche en thème et en contenu et si je le propose ici, c’est parce qu’une bibliothèque labyrinthique est l’un des éléments principaux du décor et de l’intrigue.
– Enfin, terminons par un ouvrage que je n’ai pas lu (du moins pas encore) mais vivement conseillé par ma copine. Le simple nom du roman de Walter Moers donne un indice sur le pourquoi de la présence de ce livre dans cette rubrique : La cité des livres qui rêvent. Hildegunst Taillemythes est un jeune dragon de soixante-dix-sept ans qui recherche l’auteur du manuscrit parfait. Sa quête l’amène à Bouquinbourg, une cité qui vit par et pour les livres, ce qui en fait un bon terrain d’aventure pour un amateur de littérature, surtout quand les catacombes sous la cité cachent toutes sortes de trésors… et de dangers. Un roman jeunesse que je compte bien lire un jour ou un autre.