En partant des escape room, je suis allé faire un tour du côté du thème de la prison et de son complément usuel dans la fiction, l’évasion. La science-fiction s’est naturellement emparée du thème de la prison pour le décliner sur tous les modes du monde carcéral. Quoi de mieux qu’une planète comme prison ? Pas forcément besoin de gardiens, tant que vos pensionnaires n’ont pas accès à la technologie nécessaire pour quitter leur planète, vous êtes tranquille.
C’est ce que l’on trouve par exemple dans Oméga de Robert Sheckley (Pocket SF, épuisé). Will Barrent ne sait pas quel crime il a commis mais il est condamné à être déporté sur Oméga, monde carcéral. Sur cette planète il va découvrir une nouvelle société avec ses échelons, organisée autour du crime. Et Will va finir par découvrir qu’il n’est pas forcément là pour la raison qu’il croyait. Comme c’est du Sheckley, c’est évidemment plein de surprises et toujours caustique.
Robert Heinlein, un des grands noms de l’âge d’or de la SF américaine, est aussi passé par le genre avec Révolte sur la Lune (Le livre de poche). Cette fois on exporte les criminels un peu moins loin et on a transformé le satellite de la Terre en colonie pénitentiaire. Mais comme souvent avec les colonies, les pensionnaires finissent par décider qu’ils veulent être maître de leur destin. Heinlein réalise une réécriture de l’indépendance américaine avec un roman qui prend parfois des allures de « révolution, mode d’emploi ».
Autre exemple de planète-prison avec Planète Shayol de Cordwainer Smith. On y suit un nouveau pensionnaire de ce monde étrange, organisé autour de la reconstruction du corps. Long d’une soixantaine de pages, ce texte fait partie de la série des Seigneurs de l’Instrumentalité, vaste histoire du futur s’étalant sur quelques dizaines de nouvelles et un roman. L’ensemble des textes est regroupé en quatre volumes en français (chez Folio SF). Cette histoire du futur se distingue des autres productions anglo-saxonne par un ton et une façon de raconter différents. La jeunesse et la formation de l’auteur, qui a grandi en différents coins de l’Asie (il a pour parrain Sun Yat-sen) et de l’Europe, ne sont probablement pas étranger à cette singularité.
L’évasion est une des suites logiques de l’incarcération. C’est ce que l’on voit par exemple dans Le voleur quantique (Bragelonne), roman de SF d’Hannu Rajaniemi (auteur finlandais écrivant en anglais). Dans cet ouvrage qui mélange hard science, space opera et hommage à Arsène Lupin et où l’on peut s’échanger le temps comme une monnaie, on suit Jean Le Flambeur qui démarre le récit enfermé dans une prison virtuelle où il est opposé à des copies de lui-même dans des variantes du dilemme du prisonnier. Si l’évasion n’est que le démarrage de l’intrigue, l’originalité de l’emprisonnement méritait bien d’être signalé.
L’idée de l’évasion se trouve aussi dans les œuvres de fantasy. Un bon monde de fantasy n’est rien sans quelques cachots à l’atmosphère fétide. Parmi les multiples œuvres que l’on pourrait citer, j’ai retenu Les mensonges de Locke Lamora, de Scott Lynch. Ce premier volume des aventures des Salauds Gentilhommes raconte comment Locke, enfant des rues, est recueilli par un temple mendiant un peu particulier. En effet, son prêtre forme ses jeunes pensionnaires aux arts de l’escroquerie, du vol, du déguisement, etc. Bourré de personnages hauts en couleur, ce roman est l’équivalent dans la littérature fantasy des films de casse. L’ouvrage m’est revenu à l’esprit en préparant cette sélection car le protagoniste principal s’y retrouve enfermé dans un tonneau de pisse de cheval et jeté à la mer. A partir de là, la dimension évasion prend un air d’urgence.
Enfin, je propose un petit tour du côté des comics avec deux œuvres du dessinateur Sean Murphy. Tout d’abord, Punk Rock Jesus, scénarisé par Murphy lui-même. Un producteur lance un show télévisé ambitieux et polémique : créer un clone de Jésus Christ en utilisant le Suaire de Turin et faire suivre en direct par le public la grossesse de la mère porteuse puis l’enfance et l’adolescence du clone. On va donc suivre pendant plusieurs années le destin de cette mère porteuse, du producteur, d’un ancien de l’IRA recruté comme responsable de la sécurité et évidemment de l’enfant lui-même. Murphy n’hésite pas à poser la question des droits de l’enfant/clone : peut-il appartenir à la société de production ? La question de la foi et de la religion imprègne évidemment le récit, jusque dans la postface où l’auteur parle de son expérience personnelle. Les multiples aspects de ce comics, qui parle aussi de la lutte indépendantiste en Irlande, en font une œuvre riche et intéressante. Tout ça est superbement illustré en noir et blanc par un Sean Murphy au top.
L’autre comics dessiné par Murphy que j’évoque est Joe, l’aventure intérieure (Joe the Barbarian en VO), sur un scénario de Grant Morrison et des couleurs de Dave Stewart (le coloriste de l’univers de Mignola/Hellboy). Joe est un ado dont le père militaire est décédé et qui vit donc seul avec sa mère dans une grande maison. Sa chambre est tout en haut du bâtiment, Joe est diabétique et lorsqu’une crise d’hypoglycémie le surprend, la recherche de son insuline prend des allures de quête fantastique. Entouré de ses jouets, la frontière entre la réalité et l’imaginaire se brise pour Joe qui devient Joe the Barbarian. Comme souvent dans les scénarii de Morrison c’est bourré de référence (le lecteur devrait reconnaître quelques jouets) c’est parfois un peu barré et c’est surtout très beau et très touchant. Et contrairement à ce que j’ai dit dans la chronique, c’est disponible en français, chez Urban Comics (Vertigo pour la VO).