Le thème de l’histoire permet pas mal de choses et c’est un sujet que l’on peut aborder sous divers angles. Je propose d’abord de refaire un tour vers une novella dont j’ai déjà parlé dans une émission précédente : L’homme qui mit fin à l’histoire, de Ken Liu (chez Le Bélial). Dans ce texte, Liu met en scène la possibilité de réobserver (dans la limite d’une seule fois) n’importe quel événement passé. Et il montre bien que cela ne permettrait probablement pas de résoudre les controverses et autres problèmes liés aux révisionnismes et négationnismes de toutes sortes. Un texte très bon mais pas forcément facile à lire (notre passé est emprunt d’une violence pas toujours facile à supporter). Ce bon texte fait partie d’une collection de novella, intitulée Une heure-lumière, assez ambitieuse et servie par une politique tarifaire intéressante (en particulier en numérique).
Je vous propose ensuite l’un des premiers romans de Kim Stanley Robinson. Surtout connu pour sa trilogie martienne (Mars la rouge, Mars la verte, Mars la bleue) qui raconte le premier siècle de colonisation de la planète rouge, Robinson s’était déjà penché sur l’histoire dans l’un de ses premiers romans : Les menhirs de glace (chez Folio SF). Ce livre, qui parle de colonisation spatiale, de vaisseaux disparus et de révolte sur Mars, est découpé en trois époques, réparties sur plus de trois cents ans. On y voit de quelle façon le regard sur un événement peut évoluer en fonction de l’époque où les gens s’y intéresse, que ce soit au moment présent ou depuis un avenir plus ou moins éloigné. Tout comme le texte de Ken Liu, ce roman illustre en partie la difficulté du travail de l’historien qui doit souvent travailler à partir d’éléments fragmentaires et parfois contradictoires.
Passant ensuite au post-apo, avec un classique du genre : Un cantique pour Leibowitz, de Walter M. Miller (chez Folio SF). Publié au début des années 1960, ce roman présente un monde postérieur à un affrontement nucléaire généralisé. Une société s’est rebâti et l’on découvre le culte que porte des religieux à Saint Leibowitz, dont le nom orne des manuscrits du passé glorieux de l’humanité. On voit de quelle façon cette nouvelle société adore (pour certains) des reliques dont ils interprètent parfois l’utilité bien différemment de leur fonction première. Lui aussi récit en trois époques séparées de plusieurs siècles, Un cantique pour Leibowitz nous montre une partie de l’histoire de cette humanité future et nous rappelle que l’histoire est un éternel recommencement.
On pourrait parler de l’uchronie, qui est une version alternative de notre histoire, mais le sujet est assez vaste et je le garde pour une prochaine fois.
L’histoire s’intéresse par nature au passé, mais on peut aussi essayer de se projeter dans l’avenir. C’est non seulement ce que tend à faire la science-fiction, mais c’est surtout ce que propose Isaac Asimov dans sa grande série classique : Fondation. Dans ce futur lointain, l’humanité a colonisé la galaxie et forme un empire de plusieurs millions de planètes. Un scientifique, Hari Seldon, découvre alors qu’avec un tel volume de population il devient alors possible de prévoir de façon plus ou moins statistique l’avenir. La psycho-histoire est née. Et les équations prédisent l’effondrement proche de cet empire et l’arrivée d’une période de chaos qui durera trente mille ans. Mais Seldon propose de créer une Fondation gardienne du savoir humain, ce qui devrait permettre de réduire l’âge chaotique à un seul millénaire. Commencé pendant les débuts de la seconde guerre mondiale comme une série de nouvelles, reprises plus tard en trois « romans » (Fondation, Fondation et Empire, Seconde Fondation – chez Folio SF), la série se verra dotée de deux suites (Fondation foudroyée, Terre et Fondation – chez Folio SF) dans les années 1980, puis quelques années après de deux préquelles (Prélude à Fondation et L’aube de Fondation – chez Pocket SF). Si les suites tardives et les préquelles n’ont qu’un intérêt très limité, les trois « romans » de départ forment un ensemble devenu incontournable dans le paysage du genre et un bel exemple de la SF positive de l’âge d’or.
Toujours chez Isaac Asimov, on peut aussi se pencher sur La fin de l’éternité (chez Folio SF), ouvrage parlant du voyage dans le temps. On y voit comment l’humanité utilise ce procédé pour contrôler le bon déroulement de l’histoire. Asimov explore des conséquences intéressantes de ce contrôle.
Concernant les voyageurs temporels, je ne saurai trop conseiller plusieurs romans de Connie Willis (chez J’ai Lu), ouvrages dont j’ai déjà parlé précédemment. Le voyage dans le temps est un outil rêvé pour les historiens, aussi est-il assez logique de les mettre en scène en train d’explorer diverses époques. De l’époque de la Peste Noire (Le grand livre) au Blitz londonien (Black out et All clear) en passant par l’ère victorienne (Sans parler du chien), Willis explore différentes époques, toujours avec détail et une touche d’humour. Car les universitaires oxfordiens sont de grands esprits mais parfois un peu surpris par le déroulé des événements auxquels ils assistent.
Je propose aussi un petit tour du côté de la fantasy. Les récits de ce genre parlent régulièrement de l’opposée de l’histoire : la prophétie et les oracles de toutes sortes. Bref, l’histoire à venir. Mais le genre est aussi intéressé par le passé, du moins le passé du monde proposé par l’auteur. On peut ainsi voir dans Le seigneur des anneaux que Tolkien a abondement travaillé sur le passé de son monde. Dans cette lignée, je ne peux que conseiller une nouvelle fois Le livre malazéen des glorieux défunts de Steven Erikson. Dans cette série, la connaissance du passé livre vraiment les clés pour comprendre le présent, ce qui me paraît l’une des fonctions de l’histoire. Dans le monde créé par Erikson, le passé ne se manifeste pas que par des bouts de ruines semées dans un coin pour faire décor. Chaque ville est construite sur les ruines d’une autre ville, les civilisations sur celles d’autres civilisations et les religions sur celles d’autres cultes. Dans cette série, tout à une histoire et cela peut se révéler important.
Enfin, je termine avec deux ouvrages historiques. Je me permets en effet une petite séquence de promotion pour un ami, Nicolas Bernard, qui a écrit deux pavés : La guerre germano-soviétique et La guerre du Pacifique (chez Tallandier). Ces deux livres se veulent des ouvrages de synthèse et sont des sommes de boulot phénoménales. Ce sont de jolis pavés, incluant quantité de notes et des bibliographies de plusieurs centaines de références. Et concernant le versant Asie/Pacifique de la deuxième guerre mondiale, c’est probablement le premier ouvrage de synthèse digne de ce nom disponible en français.