La politique, voila un sujet sur lequel on pourrait discuter pendant des heures, rien qu’avec son utilisation dans la littérature d’imaginaire. Et c’est un sujet que l’on pourrait aborder par plusieurs aspects.
Commençons avec le récit en lui-même. et donc la politique comme élément d’intrigue. C’est par exemple un élément très important de classique comme Dune de Frank Herbert ou Le Trône de Fer de George R. R. Martin. Mais la politique peut aussi se trouver encore plus au cœur du récit que dans ces deux premiers exemples. J’ai déjà évoqué précédemment la série des Salauds gentilhommes de Scott Lynch. Dans le troisième volume, La république des voleurs (chez Bragelonne & J’ai Lu), Locke et Jean sont engagés pour mener une campagne électorale et comme on peut s’y attendre, les coups bas ne vont pas manquer.
La principale série de Jacqueline Carey, Kushiel (chez Milady), est aussi fortement empreinte d’intrigues politiques. Phèdre, la narratrice est une courtisane masochiste que son protecteur utilise comme outil de collecte d’informations sur la cour du pays et les courants qui l’agitent. Et le monde dans lequel vit Phèdre n’a rien à envier à celui de George R. R. Martin en terme de complots et de bidouilles en tout genre. Kushiel est une série qui contient aussi une composante érotique assez forte tout en étant joliment écrit.
Je peux difficilement traiter du thème de la politique sans évoquer, une nouvelle fois, ma série de fantasy préférée : The Malazan Book of the Fallen de Steven Erikson. La politique et la géopolitique y sont des éléments clés du récit. L’échiquier est complexe et chaque camp se fractionne jusqu’à l’individu. On voit d’ailleurs que les frictions peuvent avoir lieu entre les alliés les plus proches.
En fantasy, je peux aussi proposer la série des Poudremages de Brian McClellan. Installé dans un univers où la magie côtoie la poudre à canon, cette série démarre par une révolution à l’issue de laquelle le souverain du royaume est raccourci. S’installe alors dans le pays un nouvel ordre politique avec son lot de défis à relever. Cette série démarrait plutôt bien, mais le lecteur francophone ne pourra pas en connaître la suite puisque la collection Eclipse, reprise par les éditions Panini, semble ne plus publier de romans. Ce qui est bien dommage.
En écho à l’élection évoquée plus haut dans cette chronique, je vous propose la version post-apo zombie. Feed (chez Bragelonne & Folio SF) de Mira Grant est le premier volume d’une trilogie se passant dans les États-Unis des années 2030. Après une sorte d’épidémie zombie, le pays a réussi à se redresser. Si certaines zones sont toujours interdites d’accès, la société s’est réorganisée et tout est fait pour s’assurer que le virus à l’origine de l’épidémie ne puisse plus refaire surface. On voit alors un pays dans lequel les agences de contrôle de la santé sont devenues toutes puissantes. Ce premier volume raconte une campagne présidentielle, suivie par des blogueurs. Avec cette trilogie, Mira Grant propose des thrillers politiques efficace dans des environnements de SF avec une touche de zombie, tout en essayant de garder un abord rationnel à la chose.
L’imaginaire et en particulier la SF permet aussi de proposer des modèles de société différents. C’est par exemple le cas dans l’univers de la Culture, sorte de société anarchique à l’échelle galactique créée par Iain M. Banks. Avec sa Trilogie Martienne, Kim Stanley Robinson raconte le premier siècle de colonisation de la planète rouge. C’est là aussi une bonne occasion de proposer un modèle politique différent et original. Dans L’aube de la Nuit, Peter F. Hamilton propose entre autres la société des édénistes, une sorte d’utopie dans laquelle le génie génétique et l’émergence d’une sorte de télépathie permet de s’approcher d’une conscience globale. De son côté, avec Dans la dèche au royaume enchanté (chez Folio SF), Cory Doctorow propose une autre forme de société reposant sur la réputation et l’image qu’ont les gens de vous.
L’un des sous-genres de l’imaginaire qui peut intéresser sur le thème de la politique est celui de la dystopie, ou contre-utopie. On connait bien certaines des grands classique comme 1984 de George Orwell, Le meilleur des mondes d’Aldous Uxley ou encore Un bonheur insoutenable d’Ira Levin. Un des précurseurs un peu moins connu est Nous de Ievgueni Zamiatine. Écrit au début des années 1920, l’ouvrage est interdit en Union Soviétique. Il a fait l’objet d’une nouvelle traduction française par les éditions Actes Sud au début de l’année 2017. Nous est un journal écrit par D503, le concepteur de l’Intégrale, le premier vaisseau envoyé vers les étoiles. D503 vit dans une société où l’on ne pense pas Je, on pense Nous. Mais D503 commence à avoir des doutes. L’absence de prénom pour les personnages ne gène pas pour suivre l’intrigue et l’ouvrage a clairement influencé ses successeurs et l’on comprend aisément le pourquoi de son interdiction dans son pays d’origine.
On peut faire une petit tour du côté des comics, avec Ex Machina scénarisé par Brian K. Vaughan et dessiné par Tony Harris (chez Urban Comics). On y suit Mitchell Hundred qui a le pouvoir de parler aux machines et qui après une carrière de super-héros se lance dans la politique et devient maire de New York, sous l’étiquette « indépendant ». On voit comment Hundred essaie de mener sa politique hors parti tout en faisant face à la réalité du terrain. Dans un pays où la moindre controverse peut prendre des dimensions ahurissantes, il n’est pas toujours facile de parler de problèmes de fond. Et lorsque le passé de super-héros du maire refait surface, rien ne s’arrange pour lui.
Il existe outre-Atlantique un lien particulier entre SF et politique. Le mouvement libertarien a en partie été promu par des auteurs de science-fiction, dont Robert Heinlein. Pour rester dans le cadre de la politique, on peut évoquer Étoiles, garde à vous ! (chez J’ai Lu) dont est tiré le film Starship Troopers, un futur dans lequel ne peuvent être citoyen que ceux qui ont servi dans l’armée. Heinlein est aussi l’auteur de Double étoile (chez Folio SF), un roman dans lequel un acteur doit remplacer un homme politique clé qui vient d’avoir un accident. D’abord temporaire, ce remplacement se prolonge de plus en plus et la frontière entre l’interprète et son personnage devient de plus en plus flou. Toujours chez Heinlein, on peut lire sa nouvelle Solution non satisfaisante (chez éditions du Somnium), un texte de 1941 dans lequel il prophétise l’équilibre de la terreur qui durera pendant toute la Guerre Froide. La nouvelle est accompagné d’un essai très intéressant sur l’engagement politique de l’auteur et notamment son militantisme pour obtenir un contrôle supranational du feu nucléaire.
Enfin, terminons avec un peu de fantasy et l’univers du Disque-Monde de Terry Pratchett. Ankh-Morpork est la plus grand cité du monde et lieu de bien des épisodes de la série. Elle est dirigée par le Patricien et suit un régime démocratique : un homme, une voix. Le Patricien est l’homme, il a la voix.